Née le 18 juillet 1900 à Ivanovo (centre de la Russie) dans une famille d'intellectuels juifs aisés, Nathalie Sarraute -- Natalya Tcherniak pour l'état civil-- , s'établit à Paris en 1910 avec son père à la suite du divorce de ses parents.
Elle grandit avec Véra, la seconde épouse de son père, et reçoit une éducation cosmopolite. Dans l'une des rares interviews de la romancière (publié en 1999 dans le quotidien russe Segodnia) elle précise elle-même: "Je suis née à Ivanovo, où mon père, Ilia Tcherniak, travaillait comme ingénieur dans une fabrique de tissage et où il avait fait fortune. Notre vie de famille était un échec, et ma mère m'a emmenée à Paris, chez un homme qu'elle aimait. J'avais dix ans. On m'a souvent demandé si j'étais Russe ou Française. Comme écrivain, je suis certainement Française. Mais j'ai toujours baignée dans le milieu et la culture russes. C'est mon père, qui a également émigré en France, qui m'a élevée. Ma belle-mère était Russe elle aussi, on parlait russe à la maison".
Licenciée ès-lettres à la Sorbonne, Nathalie Sarraute étudie l'anglais et l'histoire à Oxford, la sociologie à Berlin, puis le Droit à Paris. En 1925, elle épouse l'avocat Raymond Sarraute, avec qui elle aura trois filles: Dominique, Anne et Claude. Elle s'inscrit au barreau de Paris et entame une carrière d'avocate avant de travailler à partir de 1933 à la rédaction de son premier ouvrage, Tropismes, qui paraîtra six ans plus tard, en 1939.
Tropismes jette les fondements du Nouveau Roman et contient en germe l'essentiel d'une oeuvre qui ne cessera par la suite de bousculer les principes de la littérature, jusqu'à supprimer les personnages pour donner au langage une existence propre.
"Désigner et donner à sentir cette substance anonyme dont est faite l'humanité tout entière", c'est ainsi que Nathalie Sarraute résume le credo du Nouveau Roman, école littéraire qu'elle représentera une décennie plus tard avec Michel Butor, Alain Robbe-Grillet et Claude Simon. Mais la Seconde Guerre mondiale vient d'éclater et Tropismes, où sont décrits "les mouvements infimes qui se déroulent en nous, si rapides que nous n'en prenons pas conscience", a peu d'écho auprès du public.
En 1941, elle est radiée d'office du barreau en raison des lois anti-juives. Contrainte de se cacher à la campagne sous une fausse identité pendant l'Occupation, elle rédige Portrait d'un inconnu, souvent considéré comme son premier chef-d'oeuvre. Publié en 1946, c'est "un anti-roman qui se lit comme un roman policier", écrit Jean-Paul Sartre dans la préface qu'il consacre à l'ouvrage. Un an plus tard, elle commence la publication d'une série d'articles, dont la somme, éditée en 1956 sous le titre l'Ere du soupçon, constitue un manifeste du Nouveau Roman. Puis elle confirme son emprise sur la littérature contemporaine avec Le Planétarium (1959), Les Fruits d'or (1964, Prix International de Littérature), Vous les entendez ? (1972) ou encore L'Usage de la parole (1980).
Les Fruits d'or est traduit en russe dès 1968 par le mensuel Novy Mir, porte-voix du dégel littéraire commencé quelques années plus tôt. Influencée, selon ses propres aveux, par les écrivains russes du siècle dernier Fiodor Dostoïevski et Nikolaï Gogol, Nathalie Sarraute se dit contente de cette publication en Russie soviétique.
À la fin des années '60, elle entame une carrière de dramaturge. Ses pièces, écrites d'abord pour la radio, seront magnifiquement portées à la scène par Claude Régy et Simone Benmussa. Citons notamment Le Silence (1967), Isma (1973), Enfance (1984) et Pour un oui, pour un non (1986). "C'est elle qui s'est approchée le plus de l'abstraction passée dans la peinture du XXe siècle", estime Claude Régy.
En 1982, Nathalie Sarraute est récompensée par le Grand Prix National des Lettres. Classée parmi les écrivains les plus originaux et les plus difficiles du XXe siècle, elle verra dès lors ses ouvrages traduits dans le monde entier, même si ses expériences ne touchent le plus souvent qu'un public restreint. Pointilleuse, exigeante, précise jusqu'à l'obsession, elle témoigne d'une volonté de donner au verbe et à la phrase une existence intrinsèque.
Dans Ouvrez (1997), elle met en scène une comédie du langage, dans laquelle les mots, bons ou méchants, se substituent aux personnages. Ceux qui attendent leur tour, bloqués dans l'antichambre de la conception, observent leurs semblables projetés dans la réalité du discours. "Par moments, ce qu'ils voient leur donnent envie d'intervenir, ils n'y tiennent plus, ils appellent... Ouvrez."
Malgré son succès, Nathalie Sarraute continue toutefois à vivre en recluse de l'écriture, refusant les mondanités et consacrant plusieurs heures par jour à cette promenade "dans ces régions silencieuses et obscures où aucun mot ne s'est encore introduit". Ses oeuvres complètes sont éditées de son vivant dans la bibliothèque de la Pléiade (Éditions Gallimard, 1997). Le directeur de l'édition, Jean-Yves Tadié, la crédite d'une postérité indissociable de son travail sur le langage. "Je ne connais pas d'écrivain disant mon maître, c'est Nathalie Sarraute. Mais son influence est immense. On ne peut affronter le langage dans le roman sans que son nom à elle vienne d'abord", écrit-il.
Nathalie Sarraute décède à Paris le 19 octobre 1999, à l'âge de 99 ans.