André Gide

La République des Lettres

Biographie : qui est André Gide ?

André Gide est né le 22 novembre 1869 à Paris, dans la haute bourgeoisie protestante.
Fils unique tôt privé d'un père cultivé et sensible, il est élevé par sa mère selon une morale austère, qu'il prolonge à travers son amour mystique pour sa cousine Madeleine. C'est pour elle qu'il écrit son premier livre, Les Cahiers d'André Walter (1890), plaidoyer étrange où s'opposent ses aspirations et ses inhibitions.
À cet adolescent angoissé et maladif la littérature apparaît d'abord comme un refuge narcissique, à l'image des lieux symbolistes où il débute en compagnie de Pierre Louÿs et de Paul Valéry. Cependant, André Gide se distingue déjà par une écriture ironique qui fait de lui un disciple critique de Mallarmé: La Tentative amoureuse (1893) et Paludes (1895), entre autres textes courts qu'il commence à publier de façon presque confidentielle, et qui confondent habilement ses propres blocages et l'enfermement dans un idéalisme strérile.
Mais à l'époque de ses vingt-cinq ans, deux voyages en Algérie, marqués par une convalescence heureuse, puis la rencontre d'Oscar Wilde, lui font découvrir l'hédonisme et l'homosexualité, sans pour autant le détourner de sa cousine, qu'il épouse en 1895, quelques mois après la mort de sa mère.
L'oeuvre de Gide se développe alors comme une enquête sur le besoin et le danger du bonheur individualiste, et comme une réflexion sur l'écriture romanesque chargée d'organiser ce débat contradictoire. À la loi du père trop tôt disparu, à celle de la mère trop écrasante pour ne pas être contestée, il lui fallait substituer une autre loi qui lui fût propre et qui donnerait, à cette nostalgie et à cette révolte, un cadre où il les regarderait s'affronter. De sa capacité à construire l'édifice le plus équilibré, dépendraient sa liberté et son aptitude à vivre.
Critique envers toute morale établie et envers toute bonne conscience, son oeuvre est aussi critique d'elle-même et, parallèlement à la réalisation de ses livres, André Gide va porter toute sa vie une attention passionnée à ceux des autres, tenant tribune dans des revues (L'Ermitage, La Revue blanche), fondant en 1909 avec quelques amis La Nouvelle Revue Française, correspondant avec de nombreux écrivains français et étrangers, se faisant leur propagateur (Dostoïevski, Georges Simenon ou Henri Michaux) ou leur traducteur (Joseph Conrad, Walt Whitman, Rainer Maria Rilke, Franz Kafka, Alexandre Pouchkine, Tagore, Shakespeare, Goethe,...). Il soutient de ses deniers les premières publications de Francis Jammes et de Charles-Louis Philippe, persuade Paul Valéry de revenir sur son renoncement à la littérature, encourage les débuts du Dadaïsme, entretient avec Roger Martin du Gard une réflexion prolongée sur la création romanesque. Au sein de la Nrf, mais aussi dans la librairie d'Adrienne Monnier et lors des Décades de Pontigny, il joue ce rôle de propagateur des lettres qui contribue à faire de lui à partir des années 1920, selon le mot d'André Rouveyre, le contemporain capital.
André Gide prétend avoir eu très tôt la vision de ses oeuvres complètes, et ne les avoir développées successivement que par impossibilité de les élaborer simultanément. Chargeant chaque livre d'explorer une des tentations de son esprit, il se fait l'ordonnateur souverain d'un dialogue où chaque intrigue est une réplique qui corrige ou complète la précédente, dispensant l'auteur d'aller aussi loin que ses héros sur les chemins du ciel ou de l'enfer.
Les Nourritures terrestres, qui exaltent en 1897 la disponibilité, l'ouverture aux jouissances multiples du monde, sont ainsi contrebalancées sur le plan théâtral par Saül (écrit en 1898) et, dans le domaine romanesque, par L'Immoraliste (1902), qui soulignent l'un et l'autre le danger de voir la personnalité se dissoudre au gré des influences. Mais le recours à la ferveur religieuse n'est pas non plus sans risques, comme le montre l'histoire d'Alissa et de Jérôme dans La Porte étroite (1909). Et il appartient au puîné, dans Le Retour de l'enfant prodigue (1907), de rouvrir la fable biblique sur les chemins de la ferveur hédoniste. Avec Les Caves du Vatican (1914), le balancier revient en sens inverse: à vouloir construire son être indépendamment de toute contrainte, Lafcadio se grise d'une liberté dangereuse qui le pousse à devenir assassin sans raison. Précipitant un inconnu d'un train en marche, il se découvre prisonnier de cet acte gratuit et de ses conséquences en cascade.
En 1917, la vie d'André Gide prend un tournant décisif. Jusque-là divisée entre amour et plaisir, enracinement et vagabondage, lucidité affichée et tentations secrètes, elle trouve son unité avec la rencontre de Marc Allégret, dans une relation amoureuse dont Madeleine Gide a bientôt conscience. Le conflit intérieur, le besoin de suggérer ses désirs et de s'en justifier en même temps, s'estompent. La Symphonie pastorale (1919) est comme une voie moyenne entre les deux étapes précédentes: un pasteur, amoureux de sa protégée, qui est aveugle, calque sa conduite sur les préceptes évangéliques, mais en les interprétant comme une invitation à la liberté d'aimer. Aveugle à sa manière, il provoque le suicide de la jeune fille et la ruine de son propre foyer. Mais l'échec est dépassé dans Les Faux-Monnayeurs (1925), roman où pour la première fois l'affirmation d'indépendance d'un héros n'entraîne pas sa déroute. Gide, à cette époque, a acquis une confiance qui lui permet à la fois de revendiquer au grand jour son homosexualité, et de connaître l'expérience de la paternité.
À force de faire dialoguer les voix opposées de sa conscience, André Gide est ainsi arrivé à relative sérénité. Ayant partiellement exorcisé ses démons, il s'engage, dans les années 1930, en faveur du communisme comme nouveau modèle de justice sociale. Ayant découvert les limites du système judiciaire (Souvenirs de la Cour d'assises, 1914), puis, au cours d'un grand voyage en Afrique, du système colonial (Voyage au Congo, 1927), il se rapproche progressivement d'un communisme idéalisé dont il imprègne ses Nouvelles Nourritures (1935). Militant antifasciste aux côtés d'André Malraux et d'Aragon, il devient une figure des réunions publiques, donnant l'impression qu'en lui l'ombre et le doute ont disparu.
Toutefois, ses héros auraient tort de se croire désormais en possession d'une autorité morale incontestable: le drame d'Oedipe (1931) est là pour rappeler où conduit un excès de confiance en soi. Gide lui-même, qui n'a pas réussi à plier son inspiration au dogme du réalisme socialiste, dénonce le Communisme après un voyage en URSS, qui lui fait mesurer les limites de ce système (Retour de l'URSS, 1936). Lui que son audience, devenue célébrité vers 1925, a incité à prendre position sur les problèmes d'actualité, en particulier grâce à son Journal, dont la Nrf publie régulièrement des parties à partir de 1932, va désormais s'abstenir de tout engagement, suivant de Tunisie l'évolution de la Seconde Guerre mondiale. Maître à penser de l'entre-deux guerres, il est mis à l'index par le régime de Vichy.
Avec Thésée (1946), son oeuvre ultime, il reprend son magistère pour faire triompher un idéal de mesure. l'aspiration individualiste n'est plus battue en brèche par l'exigence religieuse, mais par un engagement réaliste au service de la collectivité. Cet humanisme serein trouve sa consécration en 1947 dans l'attribution du Prix Nobel de littérature.
C'est en sceptique amoureux de la vie qu'André Gide meurt, le 19 février 1951, à l'âge de 82 ans.