Mouammar Kadhafi

Mouammar Kadhafi

Muammar Al Kadhafi (ou Mouammar Kadhafi, communément appelé Colonel Kadhafi) est né en 1942 à Syrte (Lybie) dans une famille de bédouins de la tribu Sénoussi originaire de la région du Fezzan.

Il suit une éducation scolaire et religieuse traditionnelle avant de suivre les cours du Lycée de Sebha, dont il sera exlu en 1961 en raison de son activisme politique. Il étudie ensuite le Droit à l'Université de Tripoli puis intègre en 1963 l'Académie militaire de Benghazi. En 1965 il est envoyé au British Army Staff College de Camberley (Grande-Bretagne) où il poursuit sa formation militaire. À son retour à Tripoli en 1966, Mouammar Kadhafi est nommé Lieutenant dans le corps des transmissions de l'armée lybienne.

Grand admirateur du président égyptien Gamal Abdel Nasser, il suit son exemple en constituant secrètement un groupe de militaires révolutionnaires, les "Officiers Libres et Unionistes", dont le but est de renverser la monarchie libyenne, trop pro-occidentale à son goût. Le 1er septembre 1969, âgé de 27 ans, il mène un coup d'état contre le roi Idris al-Mahdi (Idris 1er), alors malade et en voyage en Turquie, qui avait décidé de passer le pouvoir le lendemain à son neveu, le Prince Hasan as-Senussi.

Mouammar Kadhafi abolit la Monarchie et proclame la République arabe lybienne placée sous le signe "de la liberté, du socialisme et de l'unité arabe". Il s'octroie le grade de Colonel, devient Président du Conseil suprême de la révolution et s'auto-désigne Premier Ministre. Il prône un socialisme panarabique, met en place des comités révolutionnaires, nationalise les grandes entreprises, augmente le prix du pétrole (la Libye dispose de considérables ressources en hydrocarbures exportées vers l'Europe), interdit le multipartisme et oblige les Etats-Unis à quitter leur bases militaires.

En 1973, Mouammar Kadhafi tente avec le président tunisien Habib Bourguiba de fusionner la Lybie et la Tunisie, mais le projet avorte très rapidement.

En 1977, il devient Président du Secrétariat général du Congrès Général du Peuple (CGP). Il change alors le nom de la République lybienne en "Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste" et adopte le surnom de "Frère Guide de la révolution". Souhaitant unir les peuples arabes à travers la révolution culturelle islamique, il entame une politique de rapprochement avec la Syrie, l'Egypte, le Soudan, la Tunisie et, plus tard, le Maroc. Sa théorie de la "troisième voie", entre capitalisme et marxisme, est consignée dans les trois tomes de son Livre vert, publiés de 1976 à 1979. Cet ouvrage, qui définit aussi sa vision personnelle de l'Islam, lui vaut d'être déclaré "hérétique" par les islamistes traditionalistes.

Parallèlement, le colonel Kadhafi tente à plusieurs reprises d'occuper le nord du Tchad en soutenant les forces rebelles au président Hissène Habré, ce qui suscite de fortes tensions avec Paris. Il soutient et finance aussi des mouvements de résistance arabe nationaliste et/ou islamique, notamment en Palestine, ce qui lui vaut l'hostilité d'Israël et des pays occidentaux, ainsi que diverses organisations armées accusées de terrorisme (IRA, ETA,...). Il s'engage également auprès du dictateur ougandais Idi Amin Dada, qu'il soutient militairement jusqu'à son renversement, en avril 1979.

Au cours des années '80, le régime lybien est mis au ban de la communauté internationale et des sanctions économiques et diplomatiques sont votées à l'ONU. À la suite d'un attentat contre la discothèque "La Belle" à Berlin Ouest, où deux soldats américains perdront la vie, un raid de représailles est mené contre Tripoli en avril 1986 par les Etats-Unis de Ronald Reagan. Le Colonel Kadhafi y perdra l'une de ses filles et sera lui-même blessé lors du bombardement de sa résidence. Il sera par la suite accusé de soutenir activement le terrorisme international et d'être directement impliqué dans plusieurs attentats, notamment contre un Boeing 747 américain au dessus de Lockerbie (Écosse, 1988) ou encore contre le DC10 d'UTA sur la ligne Brazzaville Paris (1989).

À la fin des années '90, Muammar Kadhafi révise son idéologie et passe du panarabisme au panafricanisme. Il prône dès lors la création d'Etats-Unis d'Afrique et travaille à rétablir des relations diplomatiques normalisées avec la communauté internationale. Il livre à la Justice anglaise certains officiers lybiens responsables des attentats puis dédommage les familles des victimes. À partir des années 2000, sa politique s'assouplit encore et le rapprochement avec les pays occidentaux, notamment avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, est désormais quasi total. D'autant plus qu'il signe en 2004 le Traité de Non Prolifération nucléaire (TNP) et ouvre le marché lybien aux multinationales anglo-saxonnes.

Côté français, le Colonel Kadhafi devient l'ami du président Nicolas Sarkozy lorsque ce dernier obtient en 2007, avec son épouse Cécilia Sarkozy, la libération d'infirmières bulgares détenues depuis huit ans dans les geôles lybiennes. En contrepartie, d'importants contrats de vente de centrale nucléaire, d'armements lourds et d'avions Airbus sont conclus entre la France et la Lybie (quatre ans après, en 2011, la plupart de ces contrats ne seront toujours pas honorés). Nicolas Sarkozy officialise le retour en grâce du dirigeant lybien en le recevant en visite d'Etat à Paris du 10 au 15 décembre 2007.

En 2009, il est élu pour un an Président de l'Union africaine et tente de développer son projet d'Etats-Unis d'Afrique, avec création d'un gouvernement fédéral, d'une monnaie, et d'une armée unique pour l'ensemble du continent africain.

En février 2011, le colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 42 ans, fait face à un mouvement de contestation sans précédent du peuple lybien, dont les revendications sociales et politiques s'inscrivent dans le contexte révolutionnaire qui secoue le monde arabe. La capitale, Tripoli, et toutes les grandes villes du pays s'embrasent. Des intellectuels, des militaires, des diplomates, des chefs de tribu et de haut-dignitaires religieux appellent à mettre fin au régime. Le gouvernement lâche du lest en débloquant plusieurs dizaines de milliards de dollars pour un plan social, mais les manifestations sont en même temps très sévèrement réprimées.

Le 22 février, lors d'une allocution incohérente à la télévision, le Guide suprême déclare qu'il ne se retirera pas, quitte à "mourir en martyr", car "la révolution est un sacrifice à vie". Il menace de mort tous les insurgés. Les forces de sécurité accompagnées de groupes de mercenaires tirent à balles réelles sur les manifestants. Certains quartiers des villes insurgées sont bombardés par l'aviation lybienne. Un bilan provisoire établi le 23 février par la Fédération Internationale des ligues de Droits de l'Homme (FIDH) fait état de 640 morts en une semaine, dont 275 à Tripoli et 230 à Benghazi. Les ministre de l'Intérieur et de la Justice démissionnent "pour protester contre l'usage excessif de la force".

Le 24 février, alors que la rebellion s'intensifie dans plusieurs régions, le colonel Kadhafi accuse Al-Qaïda et Oussama Ben Laden d'être à l'origine des troubles.

Fin février, le Conseil de sécurité de l'ONU et l'Union Européenne adoptent une série de sanctions contre le dictateur lybien, dont notamment un embargo sur les armes, une interdiction de visa et un gel des avoirs bancaires. L'armée américaine positionne des forces navales et aériennes autour du pays, sans toutefois envisager d'action militaire. Plusieurs dizaines de milliers de lybiens fuient vers l'Egypte, la Tunisie ou le Niger. Retranché à Tripoli, alors que les insurgés ont pris le contrôle de deux grandes villes du pays, Mouammar Kadhafi lance une contre-offensive et défie la communauté internationale. Selon la Ligue libyenne des Droits de l'Homme, la répression aurait fait à cette date 3.000 morts et 20.000 blessés.

Le 03 mars, le procureur de la Cour Pénale Internationale annonce l'ouverture d'une enquête pour crimes contre l'humanité visant le colonel Kadhafi, ses fils et plusieurs hauts responsables libyens.

Le 09 mars, alors que de violents combats entre pro et anti-Kadhafi prennent l'allure d'une guerre civile, il accuse l'Occident de vouloir contrôler le pétrole en Libye et brandit de nouveau le spectre d'Al-Qaïda. L'armée pilonne de manière intense plusieurs secteurs tenus par les rebelles.

Le 29 mars, il appelle le groupe de contact de la communauté internationale (une quarantaine de pays réunis à Londres le même jour pour débattre de l'après-Kadhafi), à cesser "l'offensive barbare" contre son pays, la comparant aux campagnes militaires d'Adolf Hitler en Europe. "Stoppez votre offensive barbare et injuste contre la Libye. Laissez la Libye aux Libyens, vous êtes en train de vous livrer à une opération d'extermination d'un peuple en sécurité et de détruire un pays en développement", déclare-t-il dans un message publié par l'agence officielle Jana. Le lendemain, L'OTAN prend officiellement le commandement des opérations militaires en Lybie.

Le 30 avril un raid de l'OTAN à Tripoli coûte la vie à son fils Saïf al Arab, et à trois de ses petits-enfants. Il accuse l'Alliance atlantique de vouloir l'assassiner et de faire de nombreuses victimes civiles lors des bombardements. Le 13 mai, après le bombardement par l'OTAN de la caserne Bab al Aziziah, au coeur de Tripoli, où il réside d'ordinaire, Mouammar Kadhafi diffuse un nouveau communiqué à la télévison pour affirmer qu'il se trouve en un lieu tenu secret, à l'abri des raids aériens.

Fin mai 2011, après plusieurs jours d'intenses bombardements de l'OTAN et une tentative de médiation du président sud-africain Jacob Zuma, il réaffirme qu'il ne quittera pas la Libye. Jacob Zuma et l'Union Africaine (UA) appellent à la fin des frappes aériennes sur le pays, estimant que l'OTAN dépasse le mandat de l'ONU de protection des civils.

Aïcha Kadhafi, mère des trois petits enfants Kadhafi tués sous les bombes, porte plainte contre l'OTAN devant la justice belge pour "Crimes de guerre". En France, les avocats Jacques Vergès et Roland Dumas (ancien ministre français des Affaires étrangères de François Mitterrand) annoncent de leur côté qu'ils vont porter plainte contre Nicolas Sarkozy pour "crimes contre l'humanité", au nom des familles de victimes civiles des frappes de l'Otan en Libye. Influencé par son conseiller occulte Bernard-Henri Lévy, Nicolas Sarkozy est en effet le principal chef d'Etat occidental impliqué dans cette très sale guerre interminable où près d'un million de Lybiens, à la fois cibles des rebelles soutenus par la France, qui les prennent pour des mercenaires, et cibles du régime, ont dû fuir le pays depuis le début du conflit.

Le 27 juin 2011, la Cour Pénale Internationale (CPI) délivre officiellement trois mandats d'arrêt international pour crimes contre l'humanité à l'encontre de Mouammar Kadhafi, de son fils Saïf al-Islam Kadhafi et du chef des renseignements Abdallah al-Senoussi. La chambre préliminaire de la CPI, suivant la requête présentée le 16 mai par le procureur Luis Moreno-Ocampo, estime qu'il existe "des motifs raisonnables" de croire que les trois suspects sont responsables de meurtres et de persécutions de civils qui auraient été commis en février dernier par les forces de sécurité et l'appareil d'Etat libyen. Avant même l'annonce de la CPI, des responsables libyens ont rejeté l'autorité de la juridiction, l'accusant de viser injustement les Africains sans tenir compte des crimes perpétrés par l'Alliance atlantique "en Afghanistan, en Irak et en Libye".

Le 29 juillet, le général Abdel Fatah Younès, ancien pilier du régime libyen devenu chef d'état-major des rebelles, est retrouvé mort dans les faubourgs de Benghazi, son corps criblé de balles, quelques heures seulement après avoir comparu devant une "commission politique" du Conseil National de Transition (CNT) mis en place à Benghazi par les rebelles. Le régime libyen accuse Al-Qaïda d'être derrière l'assassinat de ce commandant militaire. Le lendemain, l'OTAN bombarde les installations d'Al-Jamahiriya, la télévision publique libyenne à Tripoli, faisant trois morts et quinze blessés parmi les journalistes, afin de "réduire le colonel Kadhafi au silence", selon le communiqué de l'OTAN. La direction de la chaîne dénonce un "acte de terrorisme international" en violation des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU: "Nous sommes des employés de la télévision officielle libyenne. Nous ne sommes pas une cible militaire et nous ne constituons pas une menace pour les civils", indique la chaîne qui décide de continuer son travail. La semaine suivante, elle parvient à diffuser un reportage montrant des images de Khamis Kadhafi alors que les rebelles assuraient qu'il avait été tué lors d'une frappe de l'OTAN. Le gouvernement lybien déclare en outre que l'OTAN a commis un nouveau massacre à l'est de Tripoli, tuant 85 civils, dont de nombreux enfants, lors d'un bombardement sur le village de Majar.

Après cinq mois de destruction aveugle du pays et malgré le soutien tout aussi appuyé qu'illégal de la France de Nicolas Sarkozy -- y compris en livrant des armes et l'argent de la Lybie saisi dans les banques occidentales -- au CNT qui ne représente pas la population et qui est bien incapable de combattre les forces de Kadhafi ou même de faire régner l'ordre dans les rues, l'OTAN avoue se retrouver enlisé, "dans une impasse", selon les termes de l'amiral américain Michael Mullen, chef d'état-major interarmées.

Le 14 août 2011, les rebelles avancent dans l'Ouest du pays et encerclent ensuite Tripol où ils pénètrent le 21 août. Mouammar Kadhafi n'est pas capturé. Il parvient à fuir non sans exhorter auparavant ses partisans à poursuivre le combat. Le Conseil National de Transition présidé par Moustafa Abdel Jalil prend de facto les rênes du pouvoir de la nouvelle République libyenne. Des "hommes d'affaires" offrent deux millions de dinars (1,2 millions d'euros) à qui livrera le colonel Kadhafi mort ou vif mais celui-ci reste introuvable.

Mi-septembre 2011, un rapport d'Amnesty International met le doigt sur les nombreux crimes de guerre et violations des droits de l'homme commis par les rebelles: lynchages, assassinats sommaires, violences à caractère raciste contre des civils jusque dans les hôpitaux, actes de tortures, viols, etc.

Mouammar Kadhafi, réputé austère, mais également fantasque et consommateur régulier de drogues, met volontiers en avant son image d'arabe nomade fils du désert. Même lors de ses déplacements officiels à l'étranger, il vivait en permanence sous une tente, entouré d'une garde personnelle composée uniquement de femmes, et suivi par une caravane de chamelles dont il aimait boire le lait. En 2007, la journaliste de France 3 Memona Hintermann l'a accusé publiquement d'avoir tenté de la violer pendant une interview à Tripoli en 1984.

Outre son Livre vert (1979), il est l'auteur d'un recueil de nouvelles intitulé Escapade en enfer (Éditions Favre, 1998).

Il a plusieurs enfants qui jouent ou ont joué un certain rôle dans la politique et l'armée lybienne. C'est le cas notamment de Mohamed Kadhafi, directeur des services de télécommunications lybiens, de Seif el Islam Kadhafi, architecte et urbaniste directeur de la fondation Khadafi pour le développement, de Khamis Kadhafi, militaire de carrière, de Moatassem Billah Kadhafi, colonel directeur du Conseil de sécurité lybien, de Saadi Kadhafi, ancien footballeur professionnel international aujourd'hui à la tête d'une unité d'élite de l'armée libyenne, et de l'avocate Aïsha Khadafi. Parmi ses autres enfants, citons Hannibal Kadhafi, médecin de formation condamné dans diverses affaires de droit commun par la Justice française -- il sera également au centre d'une importante crise diplomatique entre Genève et Tripoli à la suite de son arrestation en Suisse L'une de ses filles adoptives, Hannah, a été tuée lors d'un raid américain contre Tripoli en avril 1986, ainsi que son plus jeune fils, Saïf al Arab, mort le 30 avril 2011 lors d'un bombardement de l'OTAN sur la capitale lybienne.

Copyright © A. M. Levy / republique-des-lettres.fr, Paris, lundi 8 août 2016. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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