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La République des Lettres
Lord Byron

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Lord Byron et Leigh Hunt : The Liberal.

Par Lord Byron, dernière édition le vendredi 29 avril 2011.

Le 15 octobre 1822, John Hunt publiait à Londres le premier numéro du journal politique et littéraire The Liberal, rédigé par Lord Byron et Leigh Hunt. Voici l'éditorial de ce premier numéro:
Nous sommes dans l'obligation d'être éditorialistes, que nous le voulions ou non car d'autres, à ce qu'il semble, sont tellement anxieux de nous fournir quelque chose de cette sorte qu'ils ont déjà fait sonner la trompette pour nous, et à notre place. Ils nous ont fait l'honneur d'annoncer qu'il doit s'ensuivre rien de moins qu'une dilapidation de toutes les oeuvres extérieures de la société civilisée. Telle du moins, disent-ils, est notre intention; et que telle serait en effet la conséquence si eux-mêmes, les trompettistes, ne se mettaient en devoir de regonfler les dites oeuvres en s'époumonnant. Nous serions plus sensibles à l'honneur qui nous est fait si cette entreprise n'avait pour origine une confusion intellectuelle. Ils disent que nous nous apprêtons à lacérer la religion, la morale, et tout ce qui est légitime. Beau massacre, en effet ! Cela ne fait que montrer leurs propres idées sur ces sujets.
L'autre jour, un journal proche du Ministère a affirmé que: "Les robes et les coronations sont les places fortes de la monarchie". Nous ne le nions point. Mais si telle est leur force, que doit-être leur faiblesse ? Si par le mot religion ils voulaient vraiment désigner que quelque chose de digne d'un être divin soit humain, si par l'évocation de la légitimité ils voulaient désigner ne serait-ce que la moitié de ce que leurs propres lois et constitutions ont prévu en cas de prétention imprudente de la part d'un despote, alors nous ferions de notre mieux pour laisser la religion et la morale dans l'état où nous les aurions trouvées et nous accorderions à leur bonne foi au moins une moitié de respect. Mais quand nous apprenons -- de première main, par notre intimité avec les différentes classes sociales -- qu'il n'y a au monde côterie d'une plus grande hypocrisie que ces prétendus pédagogues de nos compatriotes, lorsque nous savons que leur religion, même lorsqu'il lui arrive d'être sincère et sérieuse sur un point (ce qui est très rare) suppose les notions les plus ridicules et intenables de l'Etre divin et que dans tous les autres cas cela ne signifie rien de plus que la Cour des évêques, lorsque nous savons que pour une grande part leur moralité consiste en un secret et programmatique mépris de leur profession de foi, et pour une petite part -- la meilleure -- de quelques exemples plats sur quelques choses plus honnêtes, applaudis par devant pour épater la galerie et faire écran, mais assez faibles pour qu'on puisse en faire des outils contre l'humanité, et lorsque nous savons, pour couronner le tout, que cette soi-disant "légitimité" est la plus illégale de toutes les choses illicites et impudiques du monde, tendant ouvertement, sous le prétexte que que le monde entier est aussi corrompu et ignorant qu'ils le sont eux-mêmes, de le mettre à la merci de ceux qui parmi eux s'approchent le plus de l'intelligence de la brute -- des hommes qui, de par le fait même d'être élevés dans de pareilles prétentions, sont rendus les moins aptes à la sympathie pour leurs semblables humains et, en fin de compte, aussi malheureux que les plus avilis de leurs esclaves -- lorsque nous savons tout cela, et voyons s'éveiller à cette évidence les neuf dixièmes des hommes intelligents du monde, aussi résolus que nous-mêmes à s'y opposer, alors véritablement oui, nous sommes prêts à accepter le titre d'ennemis de la religion, de la morale, de la légitimité, et nous espérons faire notre devoir avec toute l'énergie blasphématoire qu'il requiert. Que Dieu nous défende de la morale des esclaves, des retourneurs de veste, et de la légitimité d'une demi-douzaine de vieux gentilhommes sans foi ni loi pour lesquels il paraîtrait que la nature humaine est un domaine à redevances.
L'objet de notre travail n'est pas politique, sauf pour autant que de nos jours, toute écriture implique nécessairement quelque chose de cet ordre, puisque le lien entre la politique et tous les autres sujets d'intérêt ayant été découvert, il est à jamais impossible de s'en débarrasser. Nous souhaitons accomplir notre travail tranquillement et, si le public veut bien nous le permettre, apporter nos libéralités sous forme de poésie, d'essais, de contes, de traductions et autres agréments, dont les rois eux-mêmes peuvent goûter la lecture à profit s'ils ne craignent pas de rencontrer leur image dans toutes sortes d'encriers. La littérature italienne, en particulier, sera pour nous un sujet favori; l'allemande et l'espagnole allaient le devenir aussi, avant que nous perdions l'ami érudit qui devait partager notre tâche. Mais peut-être pourrons-nous retrouver une provision de la même érudition, à défaut de jamais retrouver cette amitié. Il sera probablement de notre bonne fortune de disposer de plus d'un correspondant à l'étranger, ce qui sera un acquis utile pour le lecteur. En attendant, nous devons faire de notre mieux par nous-mêmes, et le lecteur peut rester assuré qu'il aura tout ce que nous possédons en nous de forces claires, dans tous les cas, sinon toujours plus car
    Nous aimons nous répandre en paroles pleines
    Aussi francs que Shippen ou le vieux Montaigne

Il y a autre chose sous le soleil que les rois ou même que les sycophantes. Il y a en particulier une chose avec laquelle nous devons aider le monde civilisé à faire connaissance, qui est la Nature. La vie ne consiste pas seulement en salles de bal, en un col coupé chez Wilkins et en un quelconque West-End [quartier chic de Londres, Ndlr]. Nous avouons volontiers avoir du respect pour les dandies, lorsqu'on mérite vraiment ce nom et non pas pour la misérable engeance qui le reçoit d'une marque de chemises. Nous voulons parler de ces personnes agréables et d'esprit savoureux qui furent à l'origine du style et avaient dans leurs têtes des idées et non des chiffons. Nous les goûtions parce qu'ils étaient de la table des Etheridge et des Suckling d'antan. Et en quoi ces Etheridge et des Suckling d'antan étaient-ils davantage que leurs voisins, sinon en ce qu'ils héritèrent du viel Esprit de la Nature et qu'ils connaissaient les prérogatives de cette Nature. Nous avons également un certain égard pour quelques modernes barons, et pas seulement pour ceux qui nous ont obtenu la Grande Charte. Mais serait-ce pour ceux qui voudraient la maintenir ou pour ceux qui s'en dispenseraient bien ? Pour ceux qui s'identifient avec n'importe quel Jean sans Terre, ou pour ceux qui ont encore un peu de la "Noblesse du Tout-Puissant", outre la leur propre ? Assurément pour ces derniers, assurément avant tout pour ceux qui ont en eux ce quelque chose qui dépasse le prestige des apparences et que tout l'époumonnement d'un légitimiste essouflé ne saurait éteindre.
Soyez donc des nôtres, vous tous qui avez fait rejaillir la vie et la lumière sur l'homme plutôt que d'en faire un être de désespoir et d'esclavage, un être de progrès plutôt qu'un être rétrograde ! Si nous n'avons pas la prétention d'accéder à votre génie, nous pouvons au moins revendiquer le mérite d'aimer et d'admirer celui-ci, avoir l'intense désir de faire connaître plus largement son exemple.
Mais c'est une chose que d'être libéral au nom de la multitude et une autre que de l'être exclusivement au nom d'une minorité. Est-ce que les effets qui ont suivi les actes de Lord Castelreagh sont morts avec lui ? Est-ce que les six lois sont mortes ? Des milliers d'Irlandais sont-ils vivants ? Nous sommes à même de fournir un spécimen de la libéralité des nouveaux apôtres du libéralisme. L'autre jour, lorsque l'un des plus nobles des êtres humains, Percy Shelley, lequel avait plus de religion dans ses différends mêmes avec la religion que des milliers de vos hommes d'Église et d'État, ayant été porté disparu sur la côte d'Italie, le Courrier a fait écrire que "M. Percy Shelley, écrivain de poésies impies, s'est noyé". Où était donc la libéralité libérale de cette tartufferie insinuante ? Où était la probité morale ? Où le bon sens ? La mort de M. Shelley au milieu des vagues a été suivie par celle de Lord Castelreagh de sa propre main. Mais l'on réclame toujours des interprétations libérales. Comment ne pas retourner une telle mort contre les ennemis de M. Shelley, s'il nous était permis de nous abaisser à l'affectation d'un moment d'accord avec leur hypocrisie ? Mais la moindre des choses que nous pouvons faire est de laisser voir à ces gens à quel point nous les connaissons, et les prévenir de ne pas nous attaquer n'importe comment. La force de nos réponses sera proportionnelle au défaut de libéralité chez l'assaillant. C'est là une attitude sur laquelle nos lecteurs peuvent compter, dans tous les cas. Le reste de ce que nous voulons dire consiste en ceci: bien que nous condamnons avec force certaines surenchères actuelles sur notre soummission et notre crédulité, nous n'allons pas pour autant dénoncer, tel un français semi-libéral, l'imaginaire de la religion comme une mystification; ni comme un allemand semi-libéral, nous en prendre à toute joie et à tout esprit en tant qu'illusion. Si nous sommes d'immenses admirateurs de Voltaire, nous le sommes également de Goethe et de Schiller. Si nous rendons hommage à Dante et à Milton, nous devons également un tribut aux brillantes souverainetés d'Aristote et de Boccace.
En somme, là où il nous arrive d'observer la manifestation d'une puissance de l'esprit humain, tout en aidant en même temps à faire avancer les intérêts de la nature de l'homme -- et même s'il lui arrive d'être un peu extrême de part ou d'autre, ou d'une façon ou d'une autre de participer, inévitable en raison de sa faiblesse -- là nous reconnaissons les demi-dieux du culte libéral, là nous nous inclinons et adorons nos seigneurs et maîtres, de là nous espérons la disparition finale de tous les cultes obscènes, aussi ritualisés soient-ils, du monstrueux sacrifice des plus nombreux au profit d'une minorité, aussi "légitimisée" et aussi confite en sottise soit-elle.

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Copyright © La République des Lettres, vendredi 20 mai 2011