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Norman Mailer

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Norman Mailer : L'évangile selon le Fils.

En donnant la parole à Jésus, l'écrivain américain Norman Mailer, dans L'Evangile selon le fils, présente un Christ terriblement humain, avec des doutes et des accès de découragement, qui entend faire valoir sa propre version des faits. "Je n'irais pas jusqu'à soutenir que l'évangile de Marc est faux, mais il contient beaucoup d'exagérations. Et je serais moins généreux avec Matthieu, avec Luc et avec Jean, qui m'ont prêté des paroles que je n'ai jamais prononcées et m'ont décrit plein de douceur alors que la rage me faisait pâlir", avertit dès les premières pages du livre ce Jésus inattendu, qui s'exprime "pour que les choses soient bien claires".
Norman Mailer, 75 ans, juché sur un amoncellement de coussins dans son hôtel parisien, sourit malicieusement d'avoir pris tout le monde à contrepied. Jusqu'alors plutôt familier des récits de guerre, des romans noirs ou du monde de la boxe, il déclare avoir obéi à deux motivations en écrivant ce livre: "une bonne, qui était de faire oeuvre utile, et une mauvaise, qui était d'embêter mes ennemis". Et, de fait, ce Jésus-là, qui s'emporte facilement, boit beaucoup de vin avec ses apôtres et n'accomplit pas tous les miracles qu'on lui attribue, ne peut manquer de choquer les croyants fidèles à la lettre des Ecritures. "J'ai voulu montrer un Christ existentiel, qui ne soit ni un surhomme, ni un ange. Il fallait qu'il puisse partager les émotions et les sentiments des hommes ordinaires. Un saint ne peut insuffler aux autres le désir de faire mieux, car sa perfection est inaccessible", explique Norman Mailer, qui préfère le Christ à son héritage. "D'un point de vue philosophique, le christianisme est rempli de contradictions et n'a pas de réponse à offrir à des questions comme l'Holocauste, le danger nucléaire, les guerres ethniques ou le capitalisme global", dit-il.Dans son roman, il comble certains des "blancs" laissés par les Evangiles. Jésus a deux frères et Marie, dépeinte comme une femme aux principes moraux rigides et comme une mère égoïste, est loin de son image de sainteté. "Je ne savais pas comment je pourrais faire de Jésus le fils d'une sainte. D'ailleurs, je ne cherche pas à faire ressortir ce qu'il y a de pieux chez les gens", souligne l'auteur, pour qui "la piété enferme rapidement dans un carcan moral". Jésus guérit, accomplit des miracles, prêche, et surtout entre dans des rages folles à propos de l'argent. "Je songeai à l'argent, combien c'était une bête malfaisante. Il consumait tout ce qui lui était offert. Quelle chiennerie il y avait dans une telle rapacité", fait-il dire à Jésus en évoquant sa colère face aux marchands du temple. Judas, lui aussi, est du côté des pauvres, mais encore plus radicalement, presque "idéologiquement". Il trahira Jésus par déception, considérant que ce dernier s'est compromis en acceptant l'hospitalité d'un riche. "Peut-être que j'ai décrit par anticipation les relations à venir entre les bolcheviks purs et durs et les socialistes", sourit Mailer. En le faisant descendre du piédestal où les évangélistes l'avaient juché, il ne présente pas moins son Christ comme un exemple, un homme de foi et d'amour, réellement désireux de sauver l'humanité, mais qui, à aucun moment, n'a la certitude qu'il y parviendra. "Kierkergaard dit qu'on ne saurait connaître le résultat de son action. J'y crois dur comme fer", conclut Norman Mailer, autant à propos du personnage que de sa propre démarche d'écriture.

Copyright © N. B. / La République des Lettres, dimanche 15 mars 1998

 

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Paris, mercredi 19 novembre 2008