La République des Lettres



Henry de Monfreid

Henry de Monfreid

Daniel Grandclément : L'incroyable Henry de Monfreid.

Le souffle manque pour suivre les péripéties d'Henry de Monfreid, écrivain-corsaire plus souvent tricheur qu'honnête homme, dont les livres ont transporté en rêves des générations de Français, d'Ethiopie au Yémen, du Kenya à Djibouti. Le journaliste Daniel Grandclément avait raconté cette existence hors du commun dans L'incroyable Henry de Monfreid, paru en 1990. Grasset vient de rééditer cet ouvrage, enrichi de nouveaux éclairages portant notamment sur ses débuts littéraires. En même temps, l'éditeur poursuit la réédition, sur le rythme d'environ deux livres tous les deux mois, de l'oeuvre de celui que Joseph Kessel appelait le "vieux pirate". Des dessins du créateur de Corto Maltese, Hugo Pratt, qui savait lui aussi ce qu'aventure signifie, en illustrent les couvertures. 16 titres ont déjà paru sur un total d'environ 70.
Henry de Monfreid (1879-1974) quitte la France à 32 ans lorsque l'appel de la mer le jette définitivement dans l'aventure. Son oeuvre est digne des grands conteurs d'autrefois, mais ici tout ou presque est vécu. "C'est un personnage à mille coudées au-dessus de l'image du pirate qu'il avait lui-même accréditée", souligne Grandclément. "Le souffle vous manque, tant les péripéties, les rebondissements, les intrigues, en un mot l'aventure, vous emporte", écrit l'académicien Jean-François Deniau en préface au livre du journaliste. "Chef adoré de son équipage mais mari et père trés peu attentionné. Faux noble (l'invention du nom de Monfreid n'est pas de lui, il en a hérité) (...), tricheur dés la jeunesse (...), authentique trafiquant d'armes et de drogue. C'est un marginal converti à l'Islam mais aussi un patriote qui essaiera de redonner Cheikh-Saïd à la France, étonnante rade sur la côte du Yémen", dit Deniau.
Son goût pour le trafic de drogues dures lui coûtera un fauteuil à l'Académie française, poursuit-il. A l'âge de 70 ans, Henry de Monfreid "approvisionnait toujours des salons parisiens en substances vénéneuses". Il avait des amis de tous bords comme le père Teilhard de Chardin qui tentera de convaincre le chef communiste Paul Vaillant-Couturier d'aider le trafiquant à se rendre au Turkestan pour y trouver meilleure "marchandise". L'auteur des Secrets de la mer rouge, qui a connu plusieurs emprisonnements et procès, a également été fasciné par Mussolini. Avant de publier son premier roman -- fort tardivement, en 1931 --, Henry de Monfreid écrivait déjà "sans ratures, avec le goût des mots précis et forts", dit Grandclément qui a eu accès à la correspondance monumentale du romancier. "Je t'écris pour m'endormir, dit-il un jour à sa femme, c'est mieux que lire du Proust". Eloigné le plus souvent de sa famille, il donnait des nouvelles en racontant ce qu'il voyait et ce qu'il voyait était fort peu commun. Il n'écrivait pas quand il était avec ses proches. Ces périodes de paix étaient rares. Il meurt dans son lit, "une mort nette, rapide, comme il l'aurait sans doute souhaité". Mais il continue de faire parler de lui après sa disparition: il avait laissé croire qu'un trésor était enfoui au fond de son jardin, dans sa maison française. Ses héritiers font venir une pelleteuse. Un coffre apparaît. Il est vide.

Copyright © N. B. / La République des Lettres, dimanche 15 février 1998

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