La République des Lettres


Lofti Akalay

Lofti Akalay : Les Nuits d'Azed.

Le Décameron et Les Mille et une nuits sont des archétypes inépuisables de la narration érotique. Dans le premier, une poignée de narrateurs alterne pour offrir une profusion d'histoires. Depuis le XIVème de Boccace le genre connut bien des avatars, jusqu'au Décameron des femmes de J. Vosnezenskaya qui met en scène de jeunes accouchées soviétiques. Dans le cas des Mille et une nuits, c'est une abondance de contes venus de Perse, d'Inde et d'Arabie entre le VIIIème et le XIIème siècle (voir la belle traduction de René Khawam). Théophile Gautier et Hofmannsthal ont ajouté une nuit, Robert-Louis Stevenson a créé de britanniques Nouvelles Mille et une nuits. Mais dans tous les cas, les contes permettent de brosser un tableau de société. L'argument oriental est connu. Sharazad, pour interrompre la liste des épouses tuées au lendemain de la nuit de noces, va raconter au roi un écheveau d'histoires qui lui vaudra sa grâce et la paix du royaume. Lofti Akalay, journaliste marocain, reprend ce canevas dans Les Nuits d'Azed. à la différence qu'aujourd'hui il s'agit pour la jeune Azed d'éviter sa répudiation, sort qu'à ses épouses précédentes Kamal réserva pour avoir été trompé par la première.
Le récit est plaisant, d'une facture traditionnelle, nanti de cet univers fantasmatique masculin qui veut que toutes les femmes soient "chaudes". Autour du beau Mokhtar qui a épousé une riche et laide amoureuse, s'agglutinent les multiples personnages d'une seule histoire, mais suffisamment arborescente. Zoubaïda est beauté vulgaire, mais séductrice en diable, qui mène de machiavéliques arnaques. Le divisionnaire Messaoud est un fieffé manipulateur. Toujours le sexe et l'argent sont les ressorts des personnages et de la société. Harcèlement sexuel, prostitution, trafic de drogue et corruption sont légion. Mais le principal mérite de ce leste récit est de dénoncer le machisme. Et, surtout, il s'élève contre la répudiation, cette forme inique de divorce dont le seul pouvoir est réservé aux hommes. Ici, l'on est en rien mysogine. L'hymne aux femmes de Mokthar est celui de l'auteur, car ce sont elles les reines de ce livre vivifiant.

Copyright © Thierry Guinhut / La République des Lettres, samedi 01 juin 1996


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