Jorge Semprun   |   Jorge Semprun
La République des Lettres

Jorge Semprun

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Jorge Semprun : Adieu, vive clarté...

Par Noël Blandin / La République des Lettres, dernière mise à jour le dimanche 01 mars 1998.

Jorge Semprun, né à Madrid en 1923, fils d'un diplomate républicain espagnol, petit-fils d'un Premier ministre du roi Alfonso XII, a accédé à la langue française grâce à Baudelaire, à qui il emprunte le titre de son dernier livre, Adieu vive clarté... Invité d'une émission de télévision, il explique que ce livre est "le récit de la découverte de l'adolescence et de l'exil, des mystères de Paris, du monde, de la féminité. Aussi, surtout sans doute, de l'appropriation de la langue française".
Adieu vive clarté... évoque la période précédant sa déportation. Semprun a publié en 1994 un récit bouleversant, L'écriture ou la vie, où il racontait sa mémoire douloureuse de la déportation et comment il lui a été impossible d'écrire, à son retour de Buchenwald. Dans son nouveau livre, il évolue en toute liberté parmi ses souvenirs, autant d'événements qui semblent se renvoyer les uns aux autres pour donner finalement sens à sa vie. "Plus je me remémore, plus le vécu d'autrefois s'enrichit et se diversifie, comme si la mémoire ne s'épuisait pas", écrit-il. La guerre d'Espagne étant "perdue", le jeune Semprun arrive à Paris début 1939 pour être interne au lycée Henri IV. "Madrid était tombée et j'étais seul, foudroyé", écrit-il, évoquant au fil des pages la mort de sa mère (il avait neuf ans) ou celle du poète Antonio Machado, sa rencontre avec une jeune femme qu'il trouve "éblouissante", mais qu'il juge "ravagée" quand il la revoit dix ans plus tard, dans un bar de Biarritz. "La vie en soi, pour elle-même, n'est pas sacrée: il faudra bien s'habituer à cette terrible nudité métaphysique", estime-t-il. Il dévore Baudelaire, mais aussi Rimbaud, Sartre, Nizan, Malraux, Giraudoux et Paludes de Gide. "S'approprier" la langue française lui permet "un enracinement dans l'universel". Face au français, dit-il, "j'étais séduit" mais "la langue espagnole ne cessa pas pour autant d'être mienne". "En somme, du point de vue de la langue, je ne devins pas français, mais bilingue", résume Semprun.
Genèse de la vie, placée sous le signe de la littérature et de l'engagement, de celui qui fut ministre espagnol de la Culture dans le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez de 1988 à 1991 puis, en 1996, premier étranger à siéger à l'Académie Goncourt. Une intronisation qui a effacé l'épisode malheureux de 1995, quand il avait posé sa candidature à l'Académie française, puis l'avait retirée. Des académiciens lui reprochaient son passé communiste et opposaient à sa candidature le fait qu'il soit étranger. Semprun est l'auteur de nombreux ouvrages, comme La deuxième mort de Ramon Mercader, prix Femina (1969), Autobiographie de Federico Sanchez (1978). Il a également écrit les scenarii de films comme Z, L'aveu, La guerre est finie. Après la guerre, il devient dirigeant clandestin du PC espagnol jusqu'à son exclusion en 1964. Une de ses pièces de théâtre, intitulée Le retour de Carola Neher, sort actuellement en librairie. Cette jeune femme, "belle, intelligente et courageuse", a été une des actrices les plus en vue des années 20 en Allemagne. Chassée de son pays par le nazisme, elle devait ensuite disparaître dans le goulag stalinien.