André Gide   |   André Gide
La République des Lettres

André Gide

André Gide

André Gide : Journal.

Par François Kasbi / La République des Lettres, dernière mise à jour le dimanche 01 juin 1997.

C'est évidemment un monument. C'est même un des monuments les plus exemplaires de ce que l'on a pu appeler, à juste titre ce me semble, la "littérature NRF". C'est aussi -- mais ce le fut d'emblée si l'on s'en tient à sa première édition en Pléïade: 1939 -- un classique, avec toutes les connotations plus ou moins flatteuses que ce qualificatif peut revêtir. Car comment, en effet, ne pas être un peu agacé par l'apprêt dont semble paré le texte, ce Journal si peu intime de Gide qui, parfois, évoque le pire Montherlant : celui qui, retouchant sans cesse son masque romain, finira par le briser. ..
Reste que cette volonté trop flagrante chez Gide de poser au Grand Ecrivain, la nouvelle édition de son journal semble paradoxalement l'avoir battue en brèche. S'il faut saluer le travail d' Eric Marty et de Martine Sagaert, on peut se demander, en revanche, comment les "gidiens" fervents et autres lecteurs habitués du Journal (celui des deux volumes de la Pléïade de 1939 et de 1954) apprécieront la nouvelle lecture que leur propose le rétablissement du texte et les annotations érudites qui l'accompagnent. Car là où l'on avait une oeuvre revue et corrigée par Gide lui-même, on trouve aujourd'hui un texte certes plus complet - les fameuses "retouches" - mais aussi un peu plus froid, moins accueillant: il a "mûri" , encore que: "On durçit à certains endroits, on pourrit à d'autres, on ne mûrit pas" (Sainte-Beuve). Un texte, en somme, qui a un peu perdu du charme primesautier, et pourtant ô combien concerté, qui en faisait une des cathédrales de la Nouvelle Revue Française, une de celles que l'on prenait le plus de plaisir à visiter, un des grands romans de la Nrf où auraient défilé tour à tour Paul Valéry et Paul Claudel, Pierre Louys et Jean Schlumberger, Charles-Louis Philippe et Henri Ghéon, bref un des chefs-d'oeuvre de la "littérature Gallimard" ce qu'il demeure, en définitive, et malgré les restrictions susdites.
Une remarque: dans son Journal de guerre, Jean Malaquais, très lié à Gide auquel il avait même dédié son premier livre (Les Javanais, Prix Renaudot 1939), évoque à plusieurs reprises Gide et son Journal. Ainsi, le 9 mai 1940, Malaquais note: "Le Journal de Gide. Envolées d'intuitions, de clartés, de tournures volontiers désuètes aussi; et une pénétration aigüe, tranchante comme un rasoir; pénétration dispersée pourtant, sporadique, qui jaillit par à-coups plutôt qu'elle ne coule de source. Une intelligence à éclipses". Et, le 3 novembre 1940, après avoir noté que Gide s'inquiète de le savoir sur les routes (car Malaquais est juif, d'origine polonaise): "Longue et décevante conversation sur la fin des haricots. Gide refuse que l'incendie n'en soit qu'à ses débuts. (...) Avec cela, se faisant, malgré qu'il en ait, l'écho des plumitifs à la botte de Vichy, il assigne les malheurs de la France au laxisme et à l'impéritie de la République troisième. Des termes tels que mollesse, langueur, laisser-aller, lui tiennent lieu d'arguments. Son intelligence politique, comme déjà au temps de son adhésion toute sentimentale au "socialisme" stalinien, ne ratisse pas large". Où l'on voit que l'amitié, l'estime et la gratitude n'empêchent pas une certaine lucidité ni une certaine exigence d'honnêteté et de cohérence, ce dont la nouvelle édition du Journal témoigne aussi, à sa façon.