La République des Lettres


Nicolas Genka

Nicolas Genka : Jeanne la Pudeur.

Jeanne la pudeur, un roman interdit sous de Gaulle et toujours formellement mis à l'index, est réédité par Flammarion qui espère -- avec quelques arrières-pensées purement commerciales -- que ce livre sera un des événements de la rentrée littéraire. "Aujourd'hui, il n'y a plus d'affaire Genka à proprement parler. Mais il y en aura peut-être une si nous faisons les démarches nécessaires pour demander l'abrogation pure et simple de la loi (ndlr: du 19 juillet 1949) qui a frappé Genka. Nous allons commencer par écrire une lettre à Jean-Pierre Chevènement en lui demandant de lever l'interdiction de ses deux livres", a dit Le directeur littéraire de Flammarion, Raphaël Sorin, au Figaro. Nicolas Genka est sorti de l'oubli début '99 quand la petite maison d'édition Exils a réédité L'épi monstre, un texte évoquant l'inceste en milieu campagnard, porté par une écriture lumineuse. Préfacé par Marcel Jouhandeau, L'épi monstre sort en 1961, chez Julliard. Jean Cocteau lui décerne alors un prix littéraire (Prix des Enfants terribles), créé spécialement pour ce livre. Les critiques saluent la naissance d'un vrai écrivain. Peu après la parution du livre, la maison bretonne de Genka le scandaleux, alors âgé de 24 ans, est mise à sac. "Il est la honte de son village", titre Paris Presse. En 1962, au nom de la protection des mineurs, le ministère de l'Intérieur interdit le livre. L'interdiction est étendue aux traductions à l'étranger. En Italie, Pier Paolo Pasolini devait le traduire. Genka avait rencontré Yukio Mishima en vue d'une traduction japonaise. Vladimir Nabokov avait montré son intérêt pour l'ouvrage. L'épi monstre a été réédité sans que l'interdiction ait été formellement levée par le gouvernement. Les éditeurs Christian Bourgois et Régine Deforges ont plaidé en vain la cause du roman auprès des ministères concernés. En 1964, paraît Jeanne la pudeur, l'histoire d'"une putain aux robes de Pigalle et aux cigarettes trop longues" qui revient dans son village, "fière, au bras d'un nègre puis d'un jaune. On la hait". Soutenu par Louis Aragon et Jean Paulhan, Genka obtient avec ce livre le prix Fénéon. René de Cecatty a fait l'éloge, dans un récent numéro du Monde, de "ce long poème admirable de rigueur, d'audace et d'élégance". L'interdiction qui frappait L'épi monstre est étendue, dès sa publication, à Jeanne la pudeur, par le biais d'un procès intenté à l'auteur. Tant que l'interdiction n'est pas levée, elle reste valable mais les moeurs ont changé depuis les prudes années 60 et il y a actuellement peu de risques à publier un tel ouvrage. Cela fait longtemps que des textes de littérature générale n'ont pas été frappés par la censure et la plupart des livres interdits le sont aujourd'hui à la demande de personnalités qui s'estiment atteintes dans leur vie privée. Après avoir écrit en 1968 un troisième livre passé totalement inaperçu, Genka cesse de publier, vivant de petits métiers ("j'ai appris l'éthique de la pauvreté", dit-il). Il réside aujourd'hui dans la Beauce où, peut-être encouragé par le tardif mais bon accueil réservé à ses deux premiers romans, il termine un livre qui se déclinera en plusieurs tomes. Le premier volet, qui sortira l'an prochain, s'intitulera Les premières maisons de la ville.

Copyright © N. B. / La République des Lettres, mercredi 01 septembre 1999


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