La République des Lettres


Nicolas Genka

Nicolas Genka : L'épi monstre.

Mis à l'index en 1962, L'épi monstre, de Nicolas Genka, un roman qui traite, sans aucune obscénité, de l'inceste en milieu campagnard, est réédité sans que l'interdiction ait été formellement levée par le gouvernement. Fin 1961, Christian Bourgois, directeur littéraire chez Julliard, publie cet ouvrage, premier roman d'un auteur de 24 ans, avec une préface de Marcel Jouhandeau. Jean Cocteau lui décerne un prix littéraire, le Prix des Enfants terribles, créé spécialement pour ce livre. Les critiques saluent la naissance d'un vrai écrivain. Mais, en juillet 1962, au nom de la protection des mineurs, le ministère de l'Intérieur interdit le livre. L'interdiction est étendue aux traductions à l'étranger. En Italie, Pier Paolo Pasolini devait le traduire. Genka avait rencontré Yuko Mishima en vue d'une traduction japonaise et Vladimir Nabokov avait montré son intérêt pour l'ouvrage. Les éditions Exils, fondées voici un an, sortent de "l'enfer" ce livre pudique et parfois visionnaire, à l'écriture tantôt sèche, tantôt incantatoire, cette fois préfacé par le romancier Jacques Henric. "Elle lui devra la souffrance. Elle essaiera le Notre Père et le Je vous salue Marie. Machinalement. Elle essaiera l'été, les pierres, la moisson, le matin dans un bol de porcelaine, elle essaiera la pluie, l'orchidée, le cercueil de l'hirondelle. L'hiver, elle ramassera les clefs prises sous le gel et les imprimera sur son front afin de perpétrer, tout pêle-mêle, le pire et le meilleur", écrit Genka d'une de ses héroïnes. Le texte de Jouhandeau est reproduit en postface. "Tant que l'interdiction n'est pas formellement levée, elle reste valable", dit-on chez l'éditeur, ajoutant toutefois que "les moeurs ont changé en 40 ans et qu'il y a aujourd'hui un risque négligeable à publier ce roman". Seuls, les livres à caractère pornographique ou faisant l'éloge du terrorisme sont actuellement frappés de censure. Cela fait longtemps que des textes de littérature générale n'ont pas été interdits, relève-t-on. Christian Bourgois et Régine Deforges ont plaidé en vain la cause du livre auprès des ministères concernés. "Ce roman nous dit que là où il y a famille, il y a une structure porteuse de crime, d'inceste, de viol, de folie, de mort. C'est cette vérité, d'habitude refoulée, qui a déclenché l'interdiction du ministère de l'Intérieur", écrit Jacques Henric en citant Aristote: "la famille est le milieu tragique par excellence". Peu après la sortie du livre, la maison bretonne de Genka le scandaleux a été mise à sac. Il a persévéré dans l'écriture. En 1964, soutenu par Louis Aragon et Jean Paulhan, il obtenait le prix Fénéon avec Jeanne la pudeur. "Il vit aujourd'hui dans la Beauce et nous attendons qu'il nous envoie un nouveau texte", selon son éditeur.

Copyright © N. B. / La République des Lettres, vendredi 15 janvier 1999


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