Nicholas Ray


De son vrai nom Raymond Nicholas Kienzle, il naît à Galesville, dans le Wisconsin. Origine norvégienne par sa mère, allemande par son père qu'il perd à seize ans. Découvre le théâtre et le jazz, étudie au collège de La Crosse, devient, grâce à une bourse, speaker d'une radio locale. Quitte sa famille pour Chicago puis New York où il rencontre l'écrivaine Jean Evans qu'il épousera. En 1933 il étudie l'architecture qui l'aidera plus tard dans sa vision du plan cinématographique. Rupture avec son professeur, Frank Lloyd Wright, pour revenir au théâtre. Rencontre au sein du Theatre of Action, à vocation sociale, avec Joseph Losey et Elia Kazan. Voyage et travaille pour la radio vers l'outre-mer, mais démissionne à cause de son lien au Parti Communiste. Assiste Elia Kazan pour son premier film, Le Lys de Brooklyn en 1945. Suivent dix ans d'une carrière éclectique et dense — avec un deuxième mariage en 1949 avec l'actrice Gloria Grahame qu'il quitte un an après pendant le tournage de Le violent où elle joue aux côtés d'Humphrey Bogart — Humphrey Bogart qui voulait à travers le débutant Ray tirer un trait sur les Major Companies. C'est aussi le mythe James Dean, l'acteur aux trois grands et uniques rôles (à l'est d'Eden, d'Elia Kazan en 1954; La Fureur de vivre, en 1955 et, la même année, Géant de George Stevens), qui mourra à 24 ans au volant de sa Porsche, trois jours avant la sortie de La fureur de vivre, et dont Nicholas Ray dira : "Il voulait assumer les aspirations dangereuses et tragiques de notre époque". Mais après Les 55 jours de Pékin, Ray se recycle en restaurateur et fait faillite. Hors d'Hollywood, il se perd entre ses soucis financiers et une santé de plus en plus déficiente qui lui vaut, après la perte de l'oeil droit, son fameux bandeau noir. Il enseigne le cinéma sans conviction et revient à la réalisation avec ses étudiants de New York avec We can't go home again, autoportrait filmé en partie en vidéo en 1973 et ayant pour actrice sa dernière épouse Susan Schwartz. Suivent quelques autres films mais entravés par des douloureuses cures de désintoxication. Cancer des poumons diagnostiqué en 1977, année où il joue le peintre faussaire de L'ami Américain de Wim Wenders. Donne des cours à l'Actor's Studio, tient un rôle dans le film de Milos Forman, Hair, en 1979, et revient vers Wim Wenders parce qu'il n'est plus en mesure de tourner seul son projet Nick's Movie. Travail sur la mort en direct, où Wenders dirige et joue également, mais que Nicholas Ray abandonnera, par la force des choses, avant la fin du tournage, le 16 juin 1979, jour de sa disparition. Demeurent les images, avec la dimension métaphysique de leur pouvoir sur l'anéantissement.
Sa première oeuvre audiovisuelle est l'adaptation pour la télé CBS de la célèbre pièce radiophonique Sorry, Wrong Number en 1945. Deux pièces de théâtre sans grand retentissement et voici Nicholas Ray partant pour Hollywood. Il adapte en 1948 pour la RKO le roman d'Edward Anderson, Thieves like Us, sous le titre de Les amants de la nuit, donnant une nouvelle hauteur tragique au film noir. Peu de succès, tout comme pour le film suivant, A Woman'Secret, commande réalisée d'après un scénario de Mankiewicz. Il regretta même de l'avoir tourné. Les ruelles du malheur, bien servi par Humphrey Bogart et John Derek, est plus marquant, initiant la thématique de la recherche du père. Humphrey Bogart joue de nouveau le rôle principal dans Le Violent, portrait d'un scénariste solitaire suspecté d'avoir commis un meurtre. Les films suivants mettent en scène des policiers dans les nuits des villes (La maison dans l'ombre avec Robert Ryan et Ida Lupino), des hommes dans la guerre (Les diables de Guadalcanal avec John Wayne). En 1953 il quitte la RKO et est pris en main par son agence MCA (Music Corporation of America) avec le célèbre Johnny Guitar, sorti en 1954, western atypique ("La féminisation du western", selon Jean Tulard), avec Joan Crawford et Mercedes McCambridge, deux femmes qui s'affrontent à cause du meurtre du frère de la seconde, et pour témoin un Johnny Guitare joué par Sterling Hayden. Après une adaptation TV, High Green Wall, prémices des grands réalisations de Ray, un film moins évident, A l'ombre des potences, avec John Derek, puis c'est l'incontournable Rebel without a Cause, La fureur de Vivre en français, écrit par Stewart Stern, premier grand film où l'on découvre Natalie Wood, et dans lequel plane comme une ombre terrible la question posée par James Dean, interprète éblouissant de Jim Stark, étudiant de bonne famille en blouson noir et jean (représentation de la "Génération Sauvage") arrêté en même temps que deux camarades: "Comment devient-on adulte?". Après le controversé L'ardente gitane, coloré et chantant, vient en 1956 l'incroyable Derrière le miroir (Bigger than Life) sur un homme, Avery, enseignant cardiaque en proie aux effets de la cortisone, dont éric Rohmer dira: "Le vrai sujet n'est peut-être ni la médecine ni la folie, mais la vie, la vie de tous les jours, cette vie sans histoire dont seule une histoire aussi extraordinaire que celle-ci est apte à nous conter l'histoire (...) Peut-être est-ce trop m'aventurer que de faire de la femme d'Avery la dépositaire de cette foi (foi en la guérison, foi en l'amour, foi sans objet bien défini), cette foi sans laquelle Abraham n'est qu'un menteur". En 1957 la maladie de Ray met ses tournages en difficulté. Mais il tourne beaucoup, des oeuvres fortes, tel l'humaniste Amère victoire tourné en 1957 en Afrique du Nord, images du désert et de la mort comme dans le sombre La forêt interdite en 1958 où se déchirent deux hommes, un professeur d'histoire naturelle interprété par Christopher Plummer qui veut enrayer le massacre des aigrettes perpétré par le chef des contrebandiers, interprété par Burl Ives. L'homme moderne face au primitif, et leurs deux violences. Retour au polar dans l'univers de Chicago avec Traquenard, une commande très réussie, puis passage par la banquise de l'Artique avec le magnifique Les dents du diable, avec Anthony Quinn en chasseur découvrant la culture occidentale par le biais d'un missionnaire qu'il a blessé. Puis deux superproductions montées par Samuel Bronston dont les studios sont à Madrid, qui se révèlent des échecs: Le Roi des Rois, sur Jésus, remanié par le producteur, et Les 55 jours de Pékin, avec Charlton Heston et Ava Gardner, sur la Chine de 1900, pour lequel, trop alcoolisé, il se voit remplacé. Puis c'est un chemin de douleur, entre quelques tentatives filmiques, des cures de désintoxication, des rôles (dont un scketch dans un film érotique, Rêves humides), l'enseignement mal vécu, et une faiblesse grandissante. Ne pouvant assumer seul son dernier projet — un film qui met en scène les amis, le quotidien, et la relation au cinéma — Nicholas Ray confie la caméra à celui qui l'a dirigé dans L'ami américain et le considère comme un maître, Wim Wenders, sorte d'exécuteur testamentaire, complice d'une fin annoncée et traquée par l'image, en une intime et ultime mise au point.
Note : "Dans l'ère de violence que connaît le cinéma américain des années cinquante, Nicholas Ray fait exception. Ne s'attache-t-il pas à la peinture de personnages faibles et névrosés et ne réintroduit-il pas la fragilité et la tendresse dans des genres voués à la sécheresse et à la brutalité?" écrit Jean Tullard. Destin exceptionnel et douloureux, indissociable de l'aventure hollywoodienne, de l'alcool et de la passion, entre fureur de vivre et de mourir.
Filmographie : 1948 : Les amants de la nuit (égal.coscén.); 1949: A Woman's Secret; Les ruelles du malheur; 1950: Le violent; 1951: Les diables de Guadalcanal; 1952: Les indomptables; La Maison dans l'ombre; 1954: Johnny Guitar (également producteur associé); 1955: A l'ombre des potences; La fureur de vivre (également coscénariste); 1956: L'ardente gitane; Derrière le miroir; 1957: Le brigand bien-aimé; Amère victoire (égal. coscén.); 1958: La forêt interdite; Traquenard; 1960: Les dents du diable; 1961: Le roi des rois; 1963: Les 55 jours de Pékin (également interprète); 1965: The Doctor and the Devils (inachevé); 1964: I'm a Stranger here Myself (documentaire, participe dans son propre rôle); Rêves humides (sketch The Janitor, également scénariste et interprète); 1973: We can't go home again; 1975: James Dean, the first American Teenager (documentaire, participation dans son propre rôle); L'ami américain (interprétation); 1979: Hair (interprétation); 1980: Nick's Movie, coréalisateur et interprète dans son propre rôle).

Copyright © Michel Marx / La République des Lettres, Paris, samedi 13 avril 2019. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite. Les citations brèves et les liens vers cette page sont autorisés.

Journal de la République des Lettres Éditions de la République des Lettres Brève histoire de la République des Lettres À propos de la République des Lettres Plan du site Contact & Informations légales