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La Rumeur

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La Cour de cassation annule la relaxe de Hamé, du groupe de rap La Rumeur, poursuivi par le ministère de l'Intérieur.

Si ce n'est pas de l'acharnement pur et simple du ministère de l'intérieur et de Nicolas Sarkozy lui-même, cela y ressemble beaucoup. La Cour de cassation, présidée par Bruno Cotte, a annulé mercredi 11 juillet la relaxe de Mohamed Bourokba, dit Hamé, leader du groupe de rap La Rumeur, poursuivi avec une étrange constance depuis cinq années par le ministère de l'Intérieur pour diffamation envers la police nationale.
Rappel de l'affaire. En avril 2002, à l'occasion de la sortie de son album L'Ombre sur la mesure, le rappeur publie un texte intitulé L'insécurité sous la plume d'un barbare. Un extrait: "Les rapports du ministère de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété" déclenche l'ire des syndicats de policiers. Une plainte est déposée le 3 juillet 2002 par les services de Nicolas Sarkozy, à l'époque ministre de l'Intérieur.
Depuis les procès s'enchaînent, le ministre de l'Intérieur faisant systématiquement appel des jugements successifs de relaxe prononcés par la Justice, d'abord en première instance par la 17e chambre du Tribunal correctionnel de Paris en décembre 2004, puis en appel par la 11e chambre de la Cour d'appel de Paris le 23 juin 2006. À la barre le rappeur a expliqué que son texte se référait à toutes les victimes des forces de l'ordre, de celles du 17 octobre 1961, où la police parisienne du préfet Papon est accusée d'avoir tué des manifestants algériens, au décès de Malik Oussékine en 1986 en passant par plusieurs autres bavures policières récentes. Les deux juridictions ont estimé que le rappeur n'était pas coupable de diffamation car il n'imputait aucun fait précis à la police en tant que telle mais mettait en cause tout un ensemble de politiques sécuritaires menées en France. Elles ont toutes deux prononcé la relaxe au nom de la liberté d'expression. Ce n'est semble-t-il pas du goût de Nicolas Sarkozy qui, fait rarissime en la matière, après avoir été débouté en appel, s'est pourvu en cassation contre Hamé. Le musicien de la Rumeur, ancien étudiant en lettres et en sociologie, a sans doute à ses yeux le tort de politiser l'affaire et de médiatiser le débat, avec le soutien de plusieurs intellectuels, sur le dossier sensible de l'action des forces de l'ordre dans des banlieues. Dans un nouvel article, Hamé a en outre dénoncé une nouvelle fois les conditions de vie des jeunes dans les banlieues, indiquant que "vivre aujourd'hui dans nos quartiers, c'est vivre des situations d'abandon économique, de discrimination d'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières".
L'avocat général de la Cour de cassation, Jacques Mouton, a estimé que la relaxe de la Cour d'appel était injustifiée et a demandé que la décision soit cassée. Il a été suivi en cela par le Tribunal qui, dans un jugement particulièrement réactionnaire, relève "le caractère outrancier du propos" et estime qu'imputer des meurtres impunis à la police constitue bien un délit de "diffamation d'une administration publique". Il a renvoyé le dossier devant la cour d'appel de Versailles qui devrait donc rejuger à nouveau l'affaire en 2008.
Pour Hamé, toute cette procédure relève d'un acharnement manifeste contre La Rumeur -- groupe qu'il a fondé en 1997 à Elancourt (Yvelines) avec deux autres étudiants d'origine africaine -- qui revendique un rap politiquement engagé contre le racisme et les injustices sociales. Selon lui, il y a une volonté de "censurer toute expression critique ou contestataire qui émanerait des quartiers", et, sur le plan judiciaire, "de ne surtout pas laisser aboutir une sorte de jurisprudence qui serait favorable non seulement au rap mais aussi aux associations qui dénoncent les bavures policières."
Plusieurs autres procès opposant la Police, le ministère de l'Intérieur et certains élus UMP à des groupes de rap ont eu lieu ces dernières années, comme entre autres contre le groupe Sniper pour "injures envers la police et menaces à l'encontre du gouvernement", mais la Justice a en général refusé jusqu'à présent de condamner les musiciens au nom de la liberté d'expression. Saura-t-elle encore résister à la pression du nouveau pouvoir sarkozyste, élu avec 20% de voix d'électeurs d'extrême-droite qui ne détestent rien tant que l'on porte atteinte à "l'honneur de la police nationale" ?

Copyright © N. B. / La République des Lettres, mercredi 11 juillet 2007

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