George Sand

La République des Lettres

George Sand, journaliste littéraire 1843-1845, par Jane Chapman.

Dans sa correspondance, George Sand a consigné en détail les tribulations de son expérience dans l'édition journalistique. Forte de son acquis à la direction de la revue nationale La Revue indépendante, elle consacra en effet beaucoup d'énergie au lancement d'un journal local. Son expérience (1) révèle les difficultés et l'insécurité que la presse provinciale d'opposition dut affronter vers la fin de la Monarchie de Juillet. On sait que bien des hommes et des femmes de lettres participèrent à la publication de journaux durant l'année des révolutions de 1848. Cependant, les activités cruciales qui occupèrent Sand et qui marquèrent le début de son véritable engagement dans le journalisme politique, ont bénéficié de moins d'attention.
Cet article situe, dans un premier temps, la contribution de Sand à l'histoire du journalisme dans le contexte du développement des journaux de l'époque. J'analyse ensuite l'écriture du journal de Sand au cours des années 1843-1845 en termes de caractéristiques attribuées au "journalisme littéraire", selon la définition internationale qu'en donnent les penseurs contemporains. Dans quelle mesure peut-on mieux comprendre la contribution journalistique de Sand à la lumière de ces deux influences? Bien qu'aux Etats-Unis, le genre du "journalisme littéraire" donne lieu à de plus en plus d'études centrées en majorité sur les écrivains du vingtième siècle, j'explore ici la prémisse que les définitions que nous fournissent les penseurs d'aujourd'hui peuvent offrir de remarques à caractère générique et intemporel formant un modèle stylistique et méthodologique que les articles de presse de Sand sont susceptibles d'illustrer. Selon Norman Sims, "les journalistes littéraires obéissent à leurs propres règles... Le journalisme littéraire se sert de l'immersion, de la voix, de l'exactitude, et du symbolisme, qui lui sont des forces essentielles." (éd. Sims, 1984: 3,4) Il s'agit tout d'abord de positionner les écrits journalistiques de Sand sur le plan historique pour pouvoir ensuite les examiner plus en détail selon les critères ci-dessus d'immersion, de voix, d'exactitude, et de symbolisme.
Contexte: influences intellectuelles et édition journalistique
"Le véritable état de chaque nation est l'état de la vie commune." (Samuel Johnson, A Journey to the Western Islands, 1775)
Le mot "journalisme" est peut-être bien d'origine française; il fut diffusé à l'étranger à partir de 1831 environ (Campbell, 2000: 40), mais le Dictionnaire des professions de Charton, datant de 1842, ne fait pas mention du mot "journaliste". De fait, peu d'écrivains arrivaient à gagner leur vie en écrivant exclusivement pour les journaux et, pour beaucoup, cette activité constituait une simple "voie de passage". (Ferenczi, 1993: 290) Bien qu'en 1831, Sand ait été employée par Le Figaro en tant qu' "ouvrier-journaliste, garçon-rédacteur" et bien qu'en 1841, elle parle elle-même des "brouillons de journalisme" (1869: v, 537), il n'était pas nécessaire de se déclarer journaliste pour participer à la publication d'un journal.
La motivation d'écrire importait plus. Cette motivation, Sand l'avait déjà reconnue dans son for intérieur: "Le métier d'écrire est une violente et presque indestructible [passion]." (1969: 1,807) Une partie de la production journalistique de Sand est formée d'essais politiques qu'on qualifierait aujourd'hui de journalisme d'opinion. Selon une édition parue pour le centenaire du Journal des débats, le journaliste "prévoit les événements et éclaire les esprits", "suggère les idées", et "sert d'interprète aux besoins mal définis qu'exprime l'opinion publique." (1889: 190) Les articles que Sand publia au cours de 1844 dans le journal local qu'elle avait lancé -- L'Éclaireur de L'Indre -- correspondent effectivement plus ou moins à cette définition.
Les historiens du journalisme qui étudient la période où celui-ci n'était pas encore une "industrie commerciale", reconnaissent tous l'existence d'influences politiques et littéraires en mettant l'accent sur la fluidité des frontières entre la politique, la littérature et le journalisme (2). Il est clair que la politique et la littérature fournirent deux contextes historiques aux articles de Sand, s'inspirant à la fois de l'Ancien Régime et de la Révolution. Les restrictions de la censure imposées par l'Ancien Régime produisirent une tradition du journalisme "qui, sauf à braver le censure, ne pouvait traiter que des lettres, des sciences et des arts, et s'adressait aux habitués des salons et des académies et cultivait "l'art de dire" à défaut d'être autorisé à parler de tout." Cette "presse de lettres" veillait à la prépondérance des considérations d'ordre stylistique et littéraire sur l'impératif informationnel. (Ferenczi, 1993: 24-25; Voyenne, 1985: 32) L'autre tendance remonte à 1789 et à la révolution simultanée de la presse, lorsque les journaux devinrent l'outil de communication des activistes politiques, et le journaliste un propagandiste avec l'obligation de communiquer une éthique de citoyenneté sociale et politique. (Rétat, 1989, Reddy, 1997, Chapman, 2005).
Ainsi, dès 1843, Balzac pouvait déjà distinguer deux genresde journalisme: la publicité et la critique. Les politiciens étaient les publicitaires et les littéraires étaient les critiques, de sorte que la presse était "le mot adopté pour exprimer tout ce qui se publie périodiquement en politique et en littérature, et où l'on juge les oeuvres de ceux qui gouvernent, et de ceux qui écrivent, deux manières de mener les hommes." (1965: 35, 207)
Cependant, toute étude des originaux de journaux de l'époque montre que les conventions stylistiques du journalisme -- l'appareil textuel de la rédaction, du résumé, de la citation et de l'entretien -- n'avaient pas encore été développées. (Matheson, 2000: 563) Durant la première moitié des années 1840, les journaux contenaient encore un amalgame incohérent de voix et de styles d'écriture. Il n'est donc guère étonnant que Sand ait dû se montrer plus inventive dans ses techniques de présentation littéraire. En l'absence de mise en page, ses articles étaient susceptibles d'être placés pèle-mêle à côté d'une masse d'informations détaillées: lettres de correspondants ou d'officiels, publiées en guise de nouvellesdu jour; rapports textuels d'actes parlementaires ou judiciaires; discours de réunions publiques, imprimés dans leur intégralité, comme si la publication de ces informations leur conférait d'emblée une quelconque autorité culturelle et crédibilité. Ce n'est que vers la fin du siècle que le journalisme devint "l'art de structurer la réalité, plutôt que d'en faire le compte rendu." (Smith, 1978: 168) Les formes de présentation telles que l'enquête et la description devinrent alors plus courantes.
Sand fut la première à se servir de ces formes d'expression, étant motivée par ce même désir d'utiliser l'écriture à des fins éducatives ou politiques, dans le but de communiquer avec le grand public­ attitude qui imprégna la pensée des écrivains pendant la majorité du dix-neuvième siècle. Comme bien d'autres, Sand espérait que ce nouveau genre d'écriture serait investi de la mission des Lumières, et au cours des années 1840, cette motivation fut renforcée par l'influence intellectuelle dominante et durable de Pierre Leroux. Bien qu'il attachât une grande importance à l'éducation et à la moralité, Leroux croyait en une forme de persuasion graduelle, qui prendrait un certain temps. Les masses devaient être converties à sa version égalitaire du républicanisme et du socialisme: Le journalisme devint une arme de conquête des coeurs et des esprits. (1969: v, 535-547)
Leroux parvenait à réconcilier la spiritualité, le matérialisme historique et le concept d'unité en acceptant les valeurs morales du Christianisme, mais pas les institutions de l'église (Hamon, 2001: 9). Sa philosophie humanitaire exaltait l'homme du peuple "avec sa faculté de souffrir et de compatir, son mysticisme instinctif, ses dispositions artistiques innées, son sens de la solidarité, son attente d'un avenir meilleur." (Milner, 1973: 195-6) Après 1845, Sand commença à se lasser des préoccupations théoriques de Leroux, et à se désengager du poids financier de sa mauvaise gestion éditoriale, mais elle ne rejeta jamais ses idées.
La voix de journaliste de George Sand prenait le parti des pauvres contre les riches. Elle s'imaginait que l'écart entre riches et pauvres pouvait être réduit par un effort de bon sens et par la volonté d'envisager les intérêts communs qui uniraient l'humanité, mais l'image qu'elle se faisait des artisans de la campagne était par trop idyllique en regard des conflits politiques à venir. Comme Lamartine, Balzac, les Fouriéristes et la majorité des Socialistes chrétiens, elle avait tendance à voir dans la vie paysanne le modèle qui servirait de point de départ et à partir duquel de meilleures conditions de travail pourraient être élaborées. Cet idéal qui émerge dans ses romans, dans son travail de journaliste, dans son patronage d'Agricol Perdiguier et sa correspondance avec lui ainsi qu'avec d'autres "travailleurs écrivains", la menèrent à privilégier la créativité populaire et la communication. (Perrot, 2004: 19)
À mesure que les troubles sociaux et économiques s'aggravent au cours des années 1840, le phénomène d'hybridation manifeste dans les oeuvres de Sand entre les domaines personnel et politique se fait plus évident dans ses romans, qui servent de toile de fond philosophique à son travail journalistique. Sa préoccupation au sujet de l'appauvrissement et du sous-emploi qui touchaient tant la classe ouvrière était intrinsèque à ses propres racines. La mère de Sand avait épousé un aristocrate et demeurait à ses yeux une "bohémienne": "Mon sang royal s'était perdu dans mes veines en s'alliant, dans le sein de ma mère, au sang plébéien." (1856: 1, 11) Ainsi, "le rêve d'une abolition des frontières sociales s'exprime particulièrement à travers le thème de l'union d'un aristocrate et d'une fille du peuple (ou inversement), comme si George Sand voulait donner une légitimité et un sens au mariage mal assorti dont elle est issue." (Milner, 1973: 196) Au cours des années 1840, ses romans prennent un tour politique plus clair, comme le montrent Consuelo (1842) et La Comtesse de Rudolstadt (1843), où la conscience sociale de l'auteur se manifeste à travers des thèmes personnels.
Le pouvoir croissant qu'avaient les journaux d'influencer la pensée signifiait que le journalisme permettait la publication gratuite des romans socialistes de l'époque, faisant ainsi d'une pierre deux coup en défiant le pouvoir et en gagnant le soutien de l'opinion. Ce procédé offrait potentiellement des résultats plus rapides, mais promettait aussi une lutte difficile. Lorsque Sand et Leroux fondèrent La Revue indépendante en 1841, tous deux travaillaient sans rémunération. Dans sa correspondance, Sand nous rappelle que Leroux et elle étaient obligés de publier La Revue indépendante à intervalles très irréguliers, en attendant d'avoir des fonds suffisants pour pouvoir verser des arrhes (Sand, 1882-92: II, 212). Néanmoins, la publication eut temporairement du succès grâce à son approche émotionnelle des problèmes sociaux. (Collins 1959: 91; 95) (3) Sand employa le même style dans L'Éclaireur de L'Indre mais ses activités d'éditrice à un niveau local étaient entravées par les nombreux aspects d'organisation pratique -- une tendance générale pour les journaux de province, qui devinrent les véritables victimes de l'ingérence du gouvernement dans le fonctionnement de la presse. (Sand 1969: ii, 279, 290-291; Chapman, 2005 a: 37)
En 1843, Sand ne participait déjà plus à la direction de La Revue indépendante mais elle était critique à l'égard du National, à une époque où les journaux de la capitale influençaient la démarche des journaux de province. (Hamon, 2001: 175) Le National avait tendance à se concentrer sur la critique du régime existant plutôt qu'à considérer par quels moyens le républicanisme et le socialisme futurs pourraient le remplacer: "Vous (le National) voila disant: Faisons une révolution, nous verrons après. Nous, nous disons: Faisons une révolution; mais voyons tout de suite ce que nous aurons à voir après." (Sand: 1969: v, 541) Selon Sand, de nombreux activistes politiques aimaient à s'engager ardemment dans le processus d'agitation, sans réfléchir aux conséquences: "Hommes d'action, leur devise ingénue et brave est celle-ci: Agissons toujours, nous verrons après." (sic., 1879: 67)
En termes d'idées politiques, Sand et Leroux voulaient combler un vide. Sand écrivait déjà pour La Réforme, dirigé par Louis Blanc et Pierre Leroux et par les éminences républicaines qu'étaient Cavaignac et Ledru-Rollin. Le journal avait été fondé cette année-là en tant que journal rival et devint bientôt l'organe d'opposition dominant. La publication, au cours d'octobre et de novembre 1843, de Fanchette, lettre de Blaise Bonnin à Claude Germain (voir ci-après) dans La Revue indépendante représente l'entrée directe de Sand dans le journalisme politique. Mais l'absence d'un journal d'opposition au niveau local rendait la tâche de communication des faits à la communauté plus compliquée. "Que ne pouvons-nous faire un journal?" écrivait-elle à son voisin et confident, Charles Duvernet. (1969: vi, 270)
Sand déplorait la faiblesse de la presse provinciale ainsi que ce qu'elle percevait comme l'influence centralisatrice et destructive de Paris; elle croyait passionnément qu'il fallait réduire l'écart entre la capitale et les provinces en inculquant à ces dernières l'idée de décentralisation démocratique. Ainsi, dans sa Circulaire pour la fondation de L'Éclaireur de L'Indre, elle parle du "besoin de relever l'esprit public en province, et de le mettre sur un pied, non de rivalité, mais d'égalité avec celui de la métropole, est vivement senti par tous les véritables amis de la France." (1879: 2) Son but d'unir en un seul front tous les journaux de province républicains l'incita à rechercher la collaboration du Bien public de Lamartine à Macon, en le félicitant de cette entreprise: "C'est une pensée grande et bonne que celle de rendre à la presse des départements sa vigueur et sa liberté." (1879: 6)
Le premier numéro de L'Éclaireur de L'Indre parut le 14 septembre 1844 en tant qu'hebdomadaire pour un abonnement annuel de 15 francs, "expressément dans le but de promouvoir la compréhension d'idées politiques (et surtout républicaines) au sein des masses populaires provinciales" (Walton, 2000: 137) Bien que Sand travaillât énormément aux préparatifs, elle ne faisait pas officiellement partie du comité de direction. Sa correspondance révèle qu'elle dut s'investir dans le travail de rédaction plus longtemps qu'elle ne l'aurait voulu, car il était impossible de trouver un autre éditeur compétent. Elle suggéra et contacta diverses personnes, relatant dans de longues lettres à Charles Duvernet (ancien journaliste du National) tous les tourments que lui causait ce problème, ainsi que la pression qu'exerçaient sur elle ses autres engagements. (Sand 1969 vi: 433, 448, 484, 501)
Les amis de Sand à la Châtre essayèrent eux aussi, mais sans succès, de trouver un imprimeur local, au lieu de quoi ils durent faire imprimer leur journal à Paris, où les artisans prenaient plus de risques à cause de la concurrence. Sand et Leroux montèrent leur propre imprimerie, l'Imprimerie de Boussac. Les machines et les matériaux étaient financés par Sand; Leroux, en tant qu'imprimeur qualifié et dont le frère était typographe à plein temps, apportait les connaissances et les compétences requises. L'entreprise mit Sand directement en contact avec la réalité du monde du travail et ses difficultés, y compris celle d'avoir à employer des ouvriers ayant l'esprit de collectivité, mais qui, chose étonnante, votèrent contre son idée d'une coopérative ouvrière. (Rebéroux 1994: 92)
Elle eut d'importants désaccords avec l'équipe de rédaction de L'Éclaireur concernant l'emploi d'imprimeurs et l'approche politique du journal. Sand avait voulu faire de celui-ci l'organe d'expression des idées de Leroux, mais ses collègues du Berry étaient d'un autre avis. Pour elle, il s'agissait d'une entreprise commune: "L'Éclaireur n'a jamais été et ne sera jamais mon oeuvre et mon organe personnels." (1879:23) Elle consultait régulièrement les autres, relatant fréquemment ses conversations et ses suggestions de noms d'éditeur par écrit, pour que ceux-ci soient approuvés. Les preuves de sa sensibilité aux critiques que pouvaient susciter ses actions en tant qu'éditrice intérimaire, ne manquent pas. (Sand 1882 II: 396) Lorsque ses opinions différaient de celle des autres, elle avait soin de le faire remarquer publiquement, en précisant qu'il s'agissait de ses opinions personnelles, non de l'opinion officielle du journal. (Hamon op cit: 185)
Tout éditeur et propriétaire d'un journal à l'époque (et les deux choses étaient souvent synonymes au début du dix-neuvième siècle), devait faire preuve d'une persévérance et d'une motivation extrêmes. Ces défis "éclairent l'attirance de Sand pour l'action politique locale, en même temps que les difficultés d'une telle intervention." (Perrot, 2004: 110) Au début, Sand admet que, "loin d'être un objet de spéculation, cette publication ne vivra que de notre dévouement et de nos sacrifices." (1879: 3) Nonobstant, dans sa correspondance elle se révèle être une femme entreprenante, sûre de ses opinions, capable de maîtriser la dissémination de l'information, et courageuse dans son opposition à l'autorité. (Hamon op. cit: 176)
Blaise Bonnin en tant que voix
"La voix de l'écrivain fait surface pour montrer au lecteur qu'un auteur est en train de travailler." (éd. Sims, 1984: 3)
C'est l'histoire émouvante d'une fille du pays qui inspira la création du journal régional de Sand, pour s'opposer au Journal de l'Indre, publication à tendance gouvernementale. Cette histoire marque l'entrée active de Sand dans la politique et dans le journalisme politique. Pierre Leroux commente ainsi l'affaire: "... c'est une bonne action et un chef-d'oeuvre." (Perrot, 2004: 64) En 1843, une jeune fille attardée âgée de 15 ans ("une idiote"), qui savait à peine parler, fut découverte en piteux état après avoir vagabondé dans les bois environnant La Châtre. Il fut impossible de découvrir si elle avait une famille ou bien d'où elle venait, mais un médecin eut pitié et l'emmena au couvent de la région. Les nonnes étaient peu disposées à offrir leur aide; il fabriqua alors un certificat attestant que la jeune fille était malade et elles furent bien obligées de l'accueillir. La jeune fille fut très vite confiée à une autre nonne, mais s'enfuit trois fois de suite, retournant au couvent, où la mère supérieure fit en sorte qu'on l'emmène à une vingtaine de kilomètres de là, entre la Châtre et Aubusson, où elle fut abandonnée. Les gens commencèrent à poser des questions et on procéda à des recherches. Lorsqu'on retrouva la jeune fille, elle avait été battue et violée.
Ce malheur advint à une période où Sand se préoccupait de plus en plus de ce qu'elle appelait le "problème social". (1869: v, 826) Elle trouva l'histoire si affligeante qu'elle fit son possible pour attirer l'attention, employant toute son expertise littéraire pour enquêter, faire campagne et dénoncer l'affaire. Elle traita le sujet de façon à susciter la compassion et l'indignation. Son format stylistique consistait en une correspondance imaginaire entre deux personnages: un paysan berrichon, représentant les points plus subtils du bon sens de la classe ouvrière rurale, et son parrain, Claude Germain. (Hamon op cit: 177)
Le franc-parler de Blaise Bonnin parut dans une lettre de style conversationnel, présentée avec des techniques de fiction comme l'émotion et la voix du personnage, afin de communiquer avec les gens ordinaires et de souligner le point de vue commun. "Si ça (Fanchette) n'a pas mérité la mort, ça a donc droit a la vie ? Suivez mon idée, parrain. C'est-à-dire, ça a droit à du pain, à des habits, à un couvert, à des soins, à la charité, pour tout dire...Il y a gouvernement ou il n'y en a pas. Je veux qu'on me réponde moi, Blaise Bonnin; j'ai le droit de demander le fin mot sur la loi." (BN 8 Lk7 326) Chose pratique, Sand pouvait dès lors se doter de deux voix ou plus: quand l'article parut dans La Revue indépendante, elle ajouta une note à l'éditeur en son nom propre.
"Toute notre population est émue jusqu'au fond de l'âme de cette affreuse histoire..." (1869: vi, 264), écrit Sand. Mais elle déclencha un tollé général, les lecteurs réclamant que les coupables soient punis, et ces derniers accusant Sand de "faire un roman" et la menaçant de poursuites judiciaires. (Winwar, 1946: 270) Sand avait pour but de dénoncer la cruauté de l'église catholique, ainsi que la nonchalance, l'hypocrisie et l'inefficacité des autorités administratives. Elle continua à dénoncer le scandale en prouvant ses allégations dans d'autres articles, ainsi qu'en publiant l'histoire sous forme de pamphlet, dont la recette servit à créer un fond d'aide à la jeune fille. Cependant, l'attitude du journal gouvernemental Le Journal de l'Indre, qui l'attaquait en l'insultant (1869: vi, 284), ainsi que le refus des imprimeurs du pays d'imprimer le pamphlet, forcèrent Sand à conclure que l'opinion publique avait besoin d'une voix plus forte et plus libre: "Partout, en province, même position des imprimeurs, même dépendance du pouvoir, même âpreté du pouvoir à paralyser la presse." (sic, BN 8 Lk7 326)
L'exactitude et l'enquête Fanchette
"Le reportage standard dissimule la voix de l'écrivain, mais le journalisme littéraire donne à cette voix la chance d'entrer dans une histoire, avec parfois une certaine ironie dramatique." (éd. Sims & Kramer, 1995: 3)
La couverture par Sand du mauvais traitement dont la jeune attardée avait été victime avait conquis les coeurs de la collectivité locale tout en portant un coup à la réputation établie de l'église catholique dans la communauté. Sand s'était opposée à la bourgeoisie locale qui, en réponse à l'affront que lui faisait Sand en se détachant de leur cercle, avait resserré ses rangs. (Hamon op cit: 177) L'Éclaireur de l'Indre diffusait ses paroles à travers le pays et se lança également dans un discours public concernant l'affaire, avec pour interlocuteur le journal conservateur officiel Le Journal de l'Indre, qui avait lancé une attaque contre Sand. Elle se défendit admirablement dans sa correspondance, employant toutes les astuces de persuasion possibles, et essayant même de s'attirer la sympathie en tant que femme -- cette condition la rendant, soutenait-elle, plus vulnérable aux attaques. (Sand 1882: 317-321) À cette époque, elle ne rédigeait plus L'Éclaireur elle-même; elle pouvait par conséquent, en ce qui concernait les éditoriaux, revendiquer son innocence.
Sand échappa aux poursuites judiciaires parce que les faits qu'elle avançait étaient exacts: en termes journalistiques, elle avait réussi l'épreuve ultime qui consiste (en langage moderne) à écrire une histoire "qui tient debout", étayant ses articles d'exemplaires des rapports du préfet de police, de lettres du maire et du médecin du couvent. La lutte fut difficile. Elle fut obligée d'entretenir une correspondance emmiellée et détaillée avec le préfet, afin de défendre ses déclarations qui, publiées par le journal,couraient le risque de faire l'objet d'un litige. Elle risqua l'emprisonnement (Hamon op cit: 177) et dut se battre sur plusieurs front au sujet de l'affaire, face à la menace d'une action en justice, face à la rivalitéjournalistique et face à la possible intervention du préfet. Elle dut conserver un ton conciliant mais persuasif afin d'éviter des amendes ou la fermeture du journal (Sand 1882 ii: 317-321), car un procès pouvait s'avérer fatal à beaucoup de journaux de province. (Collins 1954: 281)
Le langage en tant que symbolisme politique
"Les communautés se distinguent les unes des autres, non par leur caractère faux/véridique, mais par le style dans lequel elles sont imaginées." (Anderson, 1991: 6)
Benedict Anderson examine la façon dont le développement d'un langage comme la langue vernaculaire devint un instrument politique pour les nationalismes naissants qui avaient fait du journalisme leur outil privilégié. Les journaux élevaient la langue parlée ordinaire (par opposition à la langue officielle du pouvoir et des oligarchies (4) à un niveau d'importance inédit jusqu'alors. Il cite Tom Nairn: "La nouvelle intelligentsia bourgeoise du nationalisme devait inviter les masses à entrer dans l'histoire; et il fallait que le carton d'invitation soit écrit dans une langue qu'elles comprennent." (1977: 340) Ceci explique en partie l'importance que les politiques attachaient à l'usage de la langue vernaculaire et aux différents styles de langage au sein du médium journalistique, sur un plan pan-européen. Cela crée également un contexte aux expérimentations linguistiques et stylistiques auxquelles Sand se livra dans ses articles de journaux.
Le point de vue d'Anderson a été appliqué à la presse provinciale par Popkin, qui a démontré que le sens de la "communauté imaginée" existait également en France en ce qui concernait les journaux locaux de communauté. Dans ses recherches sur les journaux locaux de Lyon entre 1830 et 1835, Popkin soutient que de nouvelles "communautés imaginées" émergeaient en tant que classes sociales, en réalisant leur existence à travers les images diffusées par les journaux rivaux. (Popkin 2002) Les femmes et les travailleurs furent les bénéficiaires de ce nouveau pluralisme.
Sa motivation ayant été de servir la cause de la classe ouvrière, on pourrait dire que le travail journalistique de province de Sand servit à créer ce que Jeremy Popkin appelle un "terrain", donnant au débat public les débuts d'un cadre à travers le discours entre journaux rivaux. La région du Berry, avec ses propriétaires terriens ruraux et conservateurs, était bien différente de l'industrie de la soie de la communauté urbaine de Lyon, mais les articles de Sand publiés localement ainsi que ses campagnes locales ont contribué à l'émergence de ce que Benedict Anderson nomme les "communautés imaginées", comme l'illustre l'affaire Fanchette: sa campagne de presse dénonçant l'exploitation des ouvriers boulangers, et ses articles sur les conditions de vie dans le milieu rural -- deux activités qui aboutirent à la signature de pétitions.
Le format de lettres à un journal aux noms d'un ouvrier boulanger et de Blaise Bonnin représente "une forme qu'elle affectionne parce qu'elle correspond à la position médiatrice qu'elle s'assigne: faire entendre la voix des humbles." (Perrot, 2004: 110)
Le journaliste littéraire d'aujourd'hui donne une voix aux exclus en utilisant des techniques d'entretien détaillées ou bien, après avoir passé du temps avec les personnes, par le biais d'un résumé descriptif suivi de longues citations des personnes interviewées. De nos jours, les techniques d'imagination de Sand pourraient paraître méprisantes envers les gens ordinaires, mais à l'époque, ces méthodes générèrent une lecture empathique en offrant une voie d'immersion dans la peau du personnage à qui la société refuse de donner une voix, tout en donnant simultanément à l'écrivain plus de contrôle sur le contenu pour encourager une prise de conscience des classes sociales.
L'immersion de Sand dans des histoires vraies
"Contrairement au journalisme standard, le journalisme littéraire exige une immersion dans des sujets complexes et difficiles." (éd. Sims, 1984;3)
Sand utilisa la couverture d'une lettre de "G., ouvrier boulanger" à L'Éclaireur (L'Éclaireur de L'Indre, 28 septembre 1844) pour traiter des conditions de travail et d'embauche dans l'industrie. La lettre fut reproduite le 30 septembre dans Le National et La Réforme, sous l'influence d'une pétition signée par 6 000 employés, à laquelle le préfet de la Seine ne prêta aucune attention. Une fois de plus, Sand inséra un commentaire éditorial en début et en fin de lettre -- le contenu du commentaire final étant assez marquant.
Sand s'était bien documentée, car ses descriptions sont similaires à celles d'un rapport de 1840, publié par un médecin qui lui aussi avait causé des remous. (Hamon op cit: 185) La lettre commence avec l'humilité caractéristique que Sand imaginait être celle du personnage: "Ce n'est pas un homme de lettres ni un poète, c'est seulement un honnête homme, un simple boulanger, un enfant de maître Jacques..." (1879: 28) L'ouvrier poursuit en dénonçant les pratiques des bureaux d'embauche qui profitaient du chômage ouvrier pendant les crises économiques. Sand apporta des descriptions expressives des lieux de travail qui ressemblaient à des "abattoirs humains": sous-sols humides et insalubres où l'eau coulait le long des murs et où les ouvriers dormaient sur place entre des journées de 16 ou 18 heures payées 4 francs et deux miches de pain par jour. "On croirait assister à la dernière scène d'un meurtre." Les inspecteurs gouvernementaux passaient sur ces conditions de travail, car ils étaient soudoyés par les employeurs.
Pendant ce temps, Blaise Bonnin acquit un registre distinct de points de vue ainsi qu'un caractère littéraire dans les pages de L'Éclaireur de l'Indre, avec sa propre rubrique intitulée Lettre d'un paysan de la vallée noire écrite sous la dictée de Blaise Bonnin. (5-12 Octobre 1844) Le paysan se plaignait du coût des impôts et du fermage, d'avoir à emprunter à des taux élevés ainsi que de l'incapacité où se trouvaient les paysans à profiter des équipements modernes. Avec toutes ces régulations, "avec la loi sur les communaux, avec la loi sur la chasse, avec la loi sur la mendicité, je ne sais pas s'il nous restera de quoi acheter une corde pour nous pendre." (Sand, 1879: 37-58)
Sand tourna également son attention sur la situation des ouvriers agricoles, surtout celles des journaliers. L'Éclaireur publia deux articles de Blaise Bonnin le 5 et le 12 octobre 1844, dans lesquels celui-ci épouse la cause des plus démunis -- les petits tenanciers et métayers -- dont la situation ne s'était guère améliorée depuis la Révolution. Bonnin suggérait une action commune pour faire avancer les choses, comme il était impossible aux gens d'emprunter des fonds suffisants (à des taux d'intérêt de 15 à 20 pour cent) individuellement. Il insistait sur une approche collective qui ne marcherait qu'à la condition d'être consolidée par un esprit de compréhension et de respect mutuels, et de fraternité. (Hamon, op. cit: 187)
Conclusions: pétitions, narrativité, articles d'opinion politique
Dans une lettre ouverte publiée par La Réforme, Sand appela les ouvriers ruraux à signer la pétition lancée par le radical Ledru-Rollin, réclamant à la chambre des députés une enquête sur la condition de la classe ouvrière. La campagne n'obtint que 13 000 signatures (Sand 1869, vi, déc. 1844: 728-730), mais servit à mettre en lumière l'écart existant entre le gouvernement et l'opposition. Sand veilla à ce que L'Éclaireur de L'Indre soit le premier, sur une cinquantaine de journaux de province, à soutenir la campagne. Elle s'était servie de la pétition comme d'une tactique de communication politique dès mars 1844, comme le montre sa correspondance où il est question des disputes concernant L'Éclaireur de L'Indre: "J'ai d'autres moyens de servir mes croyances, il y a des communications plus directes à établir avec le peuple que la voie du journal." (1969: vi, 485) Ainsi, dans son article du 4 novembre 1844, elle donnait son aval à la définition avancée par Ledru-Rollin, car comme lui, elle avait conscience des limites de la presse contemporaine. "La pétition, c'est la presse des masses, c'est la voix de l'ensemble." (1879: 62)
L'engagement politique de Sand s'intensifia à mesure que sa confiance en ses pouvoirs d'expression de cet engagement augmentait, puisqu'elle communiquait également de façon directe par l'essai. Ses premiers textes de nature ouvertement politique furent publiés dans L'Éclaireur de L'Indre les 16, 23 et 30 novembre 1844. Cette série d'articles était composée de réflexions sur l'activité politique et sur le socialisme, réflexions où elle avançait l'idée que ces deux points constituaient respectivement les moyens et le but. Ses pensées provoquèrent des réponses sous forme de lettres et d'articles qui furent publiés dans L'Éclaireur du 6 décembre 1844. Parmi les points soulevés, se trouvait la question des droits de la femme, à laquelle Sand fut forcée de répondre: "Nous ne reconnaissons pas à l'autre sexe une supériorité innée." (1879: 94)
Il est significatif que, pour parler des membres du "sexe faible", qui n'avaient pas le droit de vote, Sand emploie le pronom "nous". Il lui aurait été possible de soutenir la cause des journaux féminins et de prendre part à leur rédaction, mais elle choisit le journalisme local plutôt que celui des journaux féminins comme Le Torchon brûle, Le Quotidien des femmes, La Femme libre, Le Journal des femmes, La Gazette des femmes, La Voix des femmes -- tous ayant été des instruments qui ont favorisé et marqué les débuts de la libération de la femme. Bien que les femmes qui écrivaient et qui lisaient énormément (surtout des oeuvres par d'autres femmes) aient été à la mode et considérées comme un signe de liberté, Sand estimait que la libération féminine s'accomplirait mieux par l'extension des libertés civiques comme le divorce et la conquête graduelle d'une indépendance économique s'intégrant à une lutte de la classe ouvrière, plutôt que par l'extension du droit vote, qui n'adviendrait que bien plus tard. (5)
Le concept d'un front uni de tous les journaux de province s'avéra une force plus motivante et plus efficace que l'unité féminine. Dans sa Réponse à diverses objections (à ses articles politiques du 16, 23, et 30 novembre 1844), elle exprima une fois encore son désir de longue date que "par une polémique vraiment fraternelle, les journaux démocratiques de la France départementale s'éclairent mutuellement à l'aide de sincères explications et cimentent ainsi une indissoluble union." (1879: 103)
Ainsi, l'historien du journalisme est confronté à une écrivaine et une éditrice qui croyait en ce mode de communication, mais qui faisait aussi preuve d'une créativité versatile dans sa façon de l'utiliser. Le travail journalistique que Sand accomplit en province montre que le radicalisme émotionnel visant à encourager un sens de la communauté était une arme puissante pour opérer un changement au sein du système. Les caractéristiques du modèle que Sims apporte au journalisme littéraire fournissent un cadre utile à l'analyse de la contribution de Sand, mais c'est la position de son journal dans le contexte de sa propre époque qui est plus significative. Cette position indique trois contributions distinctes au sein de cette phase de l'histoire du journalisme. Premièrement, l'usage que Sand fait du langage. En prenant pour toile de fond la démocratisation du langage dans la sphère publique, elle mit au point des formes accessibles d'écriture pour faire connaître la classe ouvrière, comme le montre sa démarche dans la campagne Fanchette et celle des ouvriers ruraux, ce qui corrobore la thèse des "communautés imaginées" d'Anderson.
Deuxièmement, dans des discussions sur les effets de la modernité, Giddens parle d'une propension à défier une certaine vision du monde unique et holistique en introduisant la pluralité de la pensée, un "principe de doute radical." (1991: 3) Les différentes formes du modernisme sont à présent une idée acceptée par l'élite intellectuelle. On pourrait dire qu'en se servant du journalisme pour promouvoir ce genre de pluralité dans le but d'éduquer les classes ouvrières au politique et d'encourager la publication ouvrière, Sand offre un exemple précurseur de cette tendance.
Troisièmement, son utilisation de la narrativité. Sims cite la journaliste littéraire contemporaine Tracy Kidder, pour qui l'invention des personnages et des détails appartient au domaine de la fiction, tandis que le reste tient à la narrativité. "Ces techniques, exception faite de l'invention des personnages et des détails, n'ont jamais fait partie de la fiction. Elles font partie de la narrativité. Dans les récits de non-fiction, vous pouvez créer un ton et un point de vue. Le point de vue affecte tout le reste. C'est comme un tournant sur la route. Une fois pris, le reste suit son cours. Si vous voulez changer quelque chose, il vous faut remonter à la décision de tourner. Il s'agit d'écrire aussi bien que George Eliot dans Middlemarch et de trouver des façons de le faire dans un texte non-fictionnel." (éd. Sims & Kramer, 1995: 19) Kidder aurait aussi bien pu citer comme modèle l'autre romancière prénommée George. Ceux qui étudient l'évolution de la forme dans le journalisme britannique et américain supposent que le journaliste en tant que "conteur" n'est apparu que lorsque les autres structures "modernes" sont devenues plus raffinées: c'est alors que le rôle du journaliste est passé de celui qui rassemblait et consignait les informations à celui qui les racontait. (Matheson, 2000: 570) En fait, Sand était déjà une conteuse. Ses personnages parlaient de faits réels, tandis qu'on ne peut manquer de remarquer l'influence stylistique de la fiction dans leur composition et leur présentation.
Le texte de Sand intitulé Le Père Va-tout-seul, écrit pour la publication de L'Almanach populaire de France 1845, constitue un bon exemple narratif. Sand s'opposait fortement à une loi qui venait d'être votée et qui réprimait les droits des vagabonds, et elle y consacra plusieurs articles dans L'Éclaireur de L'Indre. Le texte du Père Va-tout-seul était censé lui avoir été envoyé par un voyageur qui avait rencontré un vagabond de 80 ans, et qui aurait consigné une conversation à laquelle il avait assisté. Le texte de Sand s'articule en un discours entre le vieil homme et un policier, à qui se joignent ensuite un prêtre et un homme de loi. Le vieux clochard chérit la liberté que lui procure la pauvreté: "Je n'avais qu'un plaisir au monde, c'était de marcher tout seul devant moi, au hasard." (1879: 116) mais le policier fait pression sur lui pour qu'il aille à l'asile des pauvres. Le vagabond s'oppose à la charité: "On veut nous mettre au convent, et faire de nous des moines; nous, dont le seul bonheur était de vivre libres." (1979: 121)
Sand était tout aussi hostile à l'emploi de la violence et à l'emprisonnement des malades mentaux. Elle rassembla ses informations en correspondant avec des professionnels comme le docteur David Richards qui était pour l'intégration de tels patients dans la communauté. Sand l'invita à parler de ses expériences dans La Revue indépendante (1869; v, 762). La contribution de Richards peut être considérée de toute évidence comme du journalisme, mais les dialogues fictionnels de Sand, basés sur des faits, sont plus difficiles à catégoriser. Les faits et la fiction représentaient les deux côtés d'une même pièce: la narrativité au service de l'engagement politique. Les écrits journalistiques de Sand sont l'exemple parfait de l'influence conjointe que le didactisme politique et le roman exerçaient sur le journalisme. Écrivant à une époque où la forme était sous-développée et grossière, la démarche de Sand illustre une définition récente: "Les journalistes littéraires sont des écrivains qui franchissent des limites à la recherche d'un point de vue plus profond sur nos vies et notre temps." (éd. Sims & Kramer, 1995: 19) Ce qui distingue Sand de la plupart des écrivains plus récents, c'est l'intensité avec laquelle elle s'est attachée à employer ses talents d'écriture au service de l'enseignement des valeurs du socialisme et du républicanisme. Comme Emmanuel Arago le lui fit remarquer en 1835 (6): "Tu as une grande et sainte mission." Pour cette raison, l'écriture journalistique offrait un moyen de communication rapide qui s'avérait efficace sur le plan politique.
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Notes
1) Ses romans furent aussi publiés de son vivant sous la forme de romans-feuilletons dans 47 publications de revue différentes au total. (Hamon, 2001: 485).
2) voir Milner, Max (1973) et Pichois, Claude,(1979) pp.32-77, Albert et Terrou (1979) pp.32-54, Bellanger, Claude, et al. (1969), Tome 11, pp.11-26.
3) On pourrait dire que la façon dont Sand utilisait l'émotion en journalisme préfigurait les techniques utilisées plus tard dans les tabloïds du monde moderne.
4) Le langage parlé n'était pas nécessairement liée aux frontières nationales: Par exemple, pour les riches bourgeois hollandais du dix-huitième siècle, le français était la langue d'usage à la maison; l'allemand était la langue des classes cultivées dans le secteur ouest de l'empire tzariste, ainsi que dans la Bohème "tchèque" (Anderson, 1991: 196).
5) Quand La Voix des Femmes lui proposa d'être candidate électorale au nom du mouvement de libération de la femme en 1848, elle déclina cet honneur. (Adler, 1979: 139)
6) A l'époque où elle était associée au célèbre avocat Michel de Bourges, qui était impliqué dans les procès républicains de Lyon. Sand y assista assidûment, ainsi qu'une centaine d'autres femmes déguisées en hommes afin d'obtenir l'accès au tribunal.

(Traduction de Cécile Menon)

Copyright © Jane Chapman / La République des Lettres, jeudi 08 juin 2006

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