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France Soir

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Le quotidien France Soir est repris par Olivier Rey et Jean-Pierre Brunois

La pression mise par les employés de France Soir et quelques personnalités du demi-monde politico-médiatique n'aura pas suffi. Le quotidien France Soir, ex-fleuron de la presse française, placé en redressement judiciaire depuis octobre 2005, ne sera pas cédé à l'affairiste Arcadi Gaydamak comme ils le souhaitaient mais au tandem Olivier Rey / Jean-Pierre Brunois associé à la journaliste Christiane Vulvert au sein de la société VME Patrimoine. Ces derniers ont mis 700.000 euros sur la table et présenté suffisamment de garanties bancaires pour racheter le titre. Parmi les autres candidats au rachat, se sont présentés les hommes d'affaires Prosper Amouyal, milliardaire proche du président algérien Bouteflika, et Jean-Raphaël Fernandez, patron d'un groupe agroalimentaire marseillais, ainsi que le duo formé par l'ex-directeur général du journal Eric Fauveau et l'actuel rédacteur en chef Serge Faubert.
De l'avis des juges du Tribunal de Commerce de Lille rendu mercredi 12 avril après examen des projets avancés par les candidats, le journaliste sportif Olivier Rey (ex-journaliste de France Soir entre 1977 et 1979) et le promoteur immobilier Jean-Pierre Brunois ont proposé en l'état actuel des choses le meilleur plan possible pour le quotidien. Leur objectif est de continuer le journal sous forme de tabloïd populaire inspiré du modèle anglo-saxon type The Daily Mirror ou The Sun en axant le rédactionnel sur les domaines historiques de France Soir, c'est-à-dire les faits divers, le people, le sport et bien entendu les courses hippiques. Ils ont clairement annoncé qu'ils supprimeront plusieurs services et licencieront plus de la moitié des 117 salariés actuels de l'entreprise, celle-ci perdant en ce moment 800.000 euros par mois pour un tirage quotidien moyen de 42.000 exemplaires. Reste toutefois à régler le conflit naissant avec les salariés et à voir ce qu'il en est exactement du cas Moscow News qui prétend avoir pris le contrôle de la société éditrice de France-Soir, Press Alliance, en rachetant les 70% de parts de Montaigne Press à l'ancien propriétaire Raymond Lakah pendant la procédure de redressement judiciaire. Celui-ci a indiqué qu'il avait finalement renoncé à vendre Montaigne Press à Moscow News mais Gaydamak assure encore le contraire.
Les employés de France Soir ne veulent pas du douloureux plan réaliste de Rey et Brunois. Ils ont publiquement affiché leur position en publiant dans l'édition du 11 avril un article titré "Non à une mort programmée" où ils expliquent préférer le projet de relance mis en avant par le groupe de médias Moscow News, propriété d'Arcadi Gadaymak, qui fait des promesses mirobolantes: paiement des 12 millions d'euros de dettes accumulés par le journal; aucun licenciement; nomination à la tête de la rédaction de François Siegel (fondateur du magazine VSD et ancien rédacteur en chef du Monde 2) pour faire un vrai journal d'informations générales; développement de nouveaux produits comme une édition internationale, un site internet et un supplément gratuit du week-end; etc... La rédaction est parvenue à mobiliser quelques personnalités et même à recevoir l'étonnant soutien du Syndicat National des Journalistes (SNJ) sur ce projet à l'évidence quelque peu fumeux. Le 12 avril ils ont accentué la pression en annonçant leur intention de se mettre en grève illimitée si le Tribunal de Commerce choisissait le plan Rey / Brunois à la place du plan Gaydamak. À l'annonce de la décision des juges, mercredi vers 18H, ils ont immédiatement annoncé leur volonté de faire appel, de se mettre en grève et d'empêcher les prochaines parutions.
Il faut cependant être très désespéré -- ou peut-être manipulé -- pour vouloir confier ainsi son sort à Arcadi Gadaymak. Celui-ci a en effet moins le profil d'un candidat sérieux à la reprise d'un titre français de presse quotidienne que celui d'un homme d'affaires sulfureux qui a mené toute sa carrière dans des eaux interlopes peu ragoûtantes. Son très opaque groupe de médias Moscow News, présidé par Alexeï Linetsky, est plus ou moins accusé d'opérer à l'échelle internationale avec la mafia israélo-russe dans divers trafics et opérations de blanchiment d'argent sale. La compagnie russe n'a d'ailleurs pas été en mesure de fournir au Tribunal de Commerce, qui le demandait expressément, l'origine des fonds qu'elle comptait investir dans France Soir, ni apporter non plus aucune garantie de banque française. Le parquet a en outre saisi à son propos Tracfin, la cellule anti-blanchiment du Ministère des finances. De plus Arcadi Gadaymak lui-même, qui doit 33 millions d'euros au fisc français et a été condamné à 13 mois de prison avec sursis pour fraude fiscale, est directement impliqué dans plusieurs dossiers troubles. Il fait l'objet d'un mandat d'arrêt international qui lui a été délivré en décembre 2000 par le juge Philippe Courroye dans le cadre de l'affaire Falcone, dite de l'Angolagate, sombre trafic d'armes vers l'Angola mêlant politiciens (Jean-Christophe Mitterrand, Charles Pasqua), jet-setters (Paul-Loup Sulitzer), escrocs et barbouzes de tous poils. Cette affaire a déjà amené Pierre Falcone en prison mais son associé Gadaymak a préféré lui ne pas répondre au juge et a fait jouer ses quatre passeports -- russe, israélien, angolais et canadien -- pour aller se terrer en Russie, dans les bureaux de son hebdomadaire pro-libéral et pro-gouvernemental Moskovskie Novosti (Les Nouvelles de Moscou), et en Israël où il possède le club de foot de Jérusalem et bénéficie de la protection des ligues d'extrême-droite. En France, il risque d'être arrêté et emprisonné pour plusieurs années s'il met les pieds sur le territoire.

Copyright © N. B. / La République des Lettres, jeudi 13 avril 2006

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