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La République des Lettres

Abdelkébir Khatibi

Abdelkébir Khatibi
Triptyque de Rabat

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0122-0
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • AmazoniTunes

Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy

Mis en cause par Nicolas Sarkozy dans l'affaire Laetitia, les magistrats entament à partir d'aujourd'hui une semaine de grève des audiences.

Ce mouvement de prostestation, d'une ampleur inédite, est parti la semaine dernière du Tribunal de Nantes avant de s'étendre à Rennes, Quimper, Strasbourg, Dijon, Bayonne, Besançon, Basse-Terre, Pointe-à-Pitre, Marseille, Caen, Coutances, Chalon-sur-Saône, Avignon, Auxerre, Nice, Nancy, Metz, etc. Dans une bonne partie des juridictions françaises, les audiences civiles comme pénales sont suspendues pendant au moins cinq jours et les affaires non urgentes reportées à plus tard. À l'appel des deux principaux syndicats, l'Union Syndicale des Magistrats (USM) et le Syndicat de la Magistrature (SM), des "grèves du zèle" sont lancées et une grande journée de mobilisation nationale sera organisée jeudi. Une manifestation aura en outre lieu à Nantes avec pour principal mot d'ordre: "Des moyens, pas des sanctions".

À l'origine de ce mouvement de révolte inédit, Nicolas Sarkozy, qui comme d'habitude à chaque fait divers (1) -- en l'occurence l'affaire Laëtitia Perrais, une jeune fille de Pornic présumée tuée par un ancien taulard, Tony Meilhon, dont le contrôle judiciaire n'avait pu être assuré par le SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation) de Nantes -- a de nouveau franchi la ligne jaune de son devoir de réserve entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. "Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s'assurer qu'il sera suivi par un conseiller d'insertion, c'est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c'est la règle", a-t-il déclaré en dénonçant les "dysfonctionnements graves" des services de police et de justice.

Ces déclarations démagogiques du Président de la République sont perçues par le monde judiciaire comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase. L'Union Syndicale des Magistrats a ainsi fustigé ces "attaques injustifiées" et regretté qu'une nouvelle fois, "par démagogie et populisme, le chef de l'État stigmatise les magistrats". [...] "L'affaire de Pornic est l'occasion pour le gouvernement, une fois encore, de mettre en cause le fonctionnement de la justice alors que ces dysfonctionnements sont connus de tous et ne sont pas de la responsabilité des magistrats ou des acteurs de la chaine pénale", s'insurge l'USM. "Ces velléités de lynchage, fondées sur des éléments extrêmement parcellaires, témoignent d'une véritable duplicité du pouvoir exécutif, qui choisit de désigner ses personnels à la vindicte plutôt que de s'interroger sur ses responsabilités pourtant évidentes", dénonce de son côté le Syndicat de la Magistrature.

Pour le procureur Eric de Montgolfier il est anormal que que le corps judiciaire soit "perpétuellement désigné comme le fauteur de troubles". L'avocat général Philippe Bilger, pourtant proche de Nicolas Sarkozy, estime aussi pour sa part que "les magistrats mis en cause sont les victimes d'un pouvoir politique inefficace".

Le juge antiterroriste Marc Trévidic, président de l'Association Française des Magistrats Instructeurs (AFMI), n'hésite pas quant à lui à traiter Nicolas Sarkozy de "multirécidiviste" pour ses attaques répétées contre les magistrats. "Je pense qu'il est largement temps de lui appliquer la peine plancher, puisqu'il faut être très dur envers les multirécidivistes", a-t-il ironisé sur France-Info, ajoutant que "Cela fait des années qu'on dit qu'on n'a pas les moyens de fonctionner normalement, mais la différence, c'est que maintenant en plus, c'est de notre faute". Selon lui, la vraie responsabilité dans les cas de dysfonctionnement vient d'une justice considérée au sommet de l'Etat comme "un petit service public à la disposition du pouvoir exécutif et pas comme une institution solide, comme il devrait y avoir dans une vraie démocratie". [...] "Il n'y a pas de politique à long terme, il n'y a que de l'affichage, que du pipeau", conclue-t-il.

Pour l'ensemble du monde judiciaire, y compris les avocats et les policiers, ce ne sont pas les agents de l'Etat qui doivent servir de bouc émissaire à un système défaillant en raison du manque criant de moyens alloués aux services concernés. Ceci sans parler des nouveaux problèmes causés par la réforme sarkozyste de la Justice menée par l'ex-Garde des Sceaux Rachida Dati, qui a entraîné la supression de nombreux postes et la fermeture de plusieurs tribunaux.

Comme de nombreuses autres, la juridiction de Nantes mise en cause par Nicolas Sarkozy avait alerté les pouvoirs publics sur son impossibilté à traiter tous les dossiers dont elle avait la charge en raison d'un manque d'effectifs. Elle ne compte en effet que trois juges d'application des peines et 17 agents de probation pour suivre plus de 3.300 justiciables condamnés. Tony Meilhon faisait partie des quelque 800 dossiers déclarés non prioritaires en 2010, faute de personnel.

Du côté des politiques, Dominique de Villepin dénonce une "instrumentalisation" de l'affaire et le Parti Socialiste réclame par la voix de Julien Dray "des états généraux de la justice". Face à la fronde, la droite tente elle de tempérer. Le très effacé Garde des Sceaux, Michel Mercier, assure ainsi que "le président de la République a dit ce que ressentent les Français. C'est d'abord un sentiment humain qu'il exprime", ajoutant que les magistrats n'ont pas été mis en cause dans leur "globalité". Jean-François Copé se dit quant à lui surtout étonné de la "violence des réactions". Le député "monsieur sécurité" de l'UMP, Éric Ciotti, propose rien moins qu'un "plan Marshall pour la justice et la police". Les promesses ne coûtent rien.

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Notes

1) Avant l'affaire Tony Meilhon / Laëtitia Perrais, Nicolas Sarkozy a mis en cause à plusieurs reprises les fonctionnaires de Justice. En 2005, après l'assassinat de Nelly Crémel par un homme déjà condamné à perpétuité mais en liberté conditionnelle, alors qu'il était ministre de l'Intérieur, il s'en prend au juge concerné. "Il doit payer pour sa faute !" s'exclame-t-il. L'année suivante, il s'indigne à haut cris qu'aucune poursuite disciplinaire ne soit requise contre le juge Burgaud dans l'affaire d'Outreau. "Si on veut éloigner les Français de l'institution judiciaire, il n'y a qu'à continuer comme cela", estime-t-il. En 2010, il juge de nouveau "difficilement compréhensible" la remise en liberté sous contrôle judiciaire du second braqueur présumé du casino d'Uriage-les-Bains. S'ingérant régulièrement dans les affaires judiciaires et bafouant la présomption d'innocence, il déclare aussi en 2003 qu'Yvan Colonna est "l'assassin du préfet Erignac", ou encore en 2009 que les prévenus de l'affaire Clearstream sont "coupables". Depuis son arrivée à l'Elysée, d'innombrables textes de lois sur la sécurité et la justice ont par ailleurs été votés sous ses ordres. Sa récente proposition de mettre en place des jurys populaires en correctionnelle relève semble-t-il de la même logique pyromane: jouer sur l'émotion populaire pour mieux opposer l'opinion publique aux professionnels de la Justice.

Copyright © Hortense Paillard / La République des Lettres, Paris, lundi 07 février 2011. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.

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