Nathalie Sarraute   |   Nathalie Sarraute
La République des Lettres

Nathalie Sarraute

Nathalie Sarraute

Biographie : Qui est Nathalie Sarraute ?

Par Mélanie Wolfe / La République des Lettres, dernière mise à jour le dimanche 06 janvier 2008.

Nathalie Sarraute a jeté les fondements du Nouveau Roman dès 1939 avec Tropismes, et n'a cessé par la suite de bousculer les principes de la littérature, jusqu'à supprimer les personnages de ses romans pour donner au langage une existence propre. "Désigner et donner à sentir cette substance anonyme dont est faite l'humanité tout entière", c'est ainsi que l'écrivain résumait le credo du Nouveau Roman, école littéraire illustrée principalement par Michel Butor, Alain Robbe-Grillet et Claude Simon.
Nathalie Sarraute, femme petite, cheveux raides, profil aigu, les yeux clairs et vifs, témoignait d'un tempérament d'explorateur qui la rendait parfois difficilement accessible pour le grand public. Pointilleuse, exigeante, précise jusqu'à l'obsession, elle témoignait d'une volonté de donner au verbe et à la phrase une existence intrinsèque, égale sinon supérieure aux personnages eux-mêmes. Dans Ouvrez (1997), la vieille dame facétieuse mettait en scène une comédie du langage, dans laquelle les mots, bons ou méchants, se substituent aux personnages. Ceux qui attendent leur tour, bloqués dans l'antichambre de la conception, observent leurs semblables projetés dans la réalité du discours. "Par moments, ce qu'ils voient leur donnent envie d'intervenir, ils n'y tiennent plus, ils appellent... Ouvrez."
Née le 18 juillet 1900 en Russie, à Ivanovo, dans une famille d'intellectuels juifs aisés, Natalya Tcherniak -- elle prendra le nom de Sarraute après son mariage en 1925 avec l'avocat Raymond Sarraute --, s'établit à Paris en 1910 avec son père, suite au divorce de ses parents. Elle grandit avec Véra, la seconde épouse de son père, et reçoit une éducation cosmopolite. Licenciée ès-lettres à la Sorbonne, elle étudie l'anglais et l'histoire à Oxford, la sociologie à Berlin, puis le Droit à Paris. Elle entame une carrière d'avocate et s'inscrit au barreau de Paris avant de travailler à partir de 1933 à la rédaction de son premier ouvrage, Tropismes, qui paraîtra six ans plus tard et contient en germe l'essentiel de son oeuvre. Mais la Seconde Guerre mondiale vient d'éclater et ce livre, où sont décrits "les mouvements infimes qui se déroulent en nous, si rapides que nous n'en prenons pas conscience", a peu d'écho. En 1941, Nathalie Sarraute est radiée d'office du barreau en raison des lois anti-juives. Contrainte de se cacher à la campagne sous une fausse identité pendant l'Occupation, elle rédige Portrait d'un inconnu, souvent considéré comme son premier chef-d'oeuvre et publié en 1946, "un anti-roman qui se lit comme un roman policier", écrit Jean-Paul Sartre dans la préface qu'il consacre à cet ouvrage. Un an plus tard, elle commence la publication d'une série d'articles, dont la somme, éditée en 1956 sous le titre l'Ere du soupçon, constitue le manifeste du Nouveau Roman. Puis elle confirme son emprise sur la littérature contemporaine avec Le Planétarium (1959), Les Fruits d'or (1964, Prix International de Littérature), Vous les entendez ? (1972), ou encore L'Usage de la parole (1980). A la fin des années '60, Nathalie Sarraute entame une carrière de dramaturge. Ses pièces, écrites d'abord pour la radio, seront magnifiquement portées à la scène, notamment par Claude Régy et Simone Benmussa, parmi lesquelles Le Silence (1967), Isma (1973), Enfance (1984), Pour un oui, pour un non (1986).
Mais ce n'est qu'en 1982 que le Grand Prix National des Lettres récompense Nathalie Sarraute, l'un des auteurs les plus originaux et les plus difficiles de notre temps, dont les ouvrages ont été traduits dans le monde entier, même si ses expériences n'ont le plus souvent touché qu'un public restreint. "C'est elle qui s'est approchée le plus de l'abstraction qui était déjà passée dans la peinture", estimait Claude Régy. Nathalie Sarraute vivait en recluse de l'écriture, continuant à consacrer plusieurs heures par jour à cette promenade "dans ces régions silencieuses et obscures où aucun mot ne s'est encore introduit". Ses oeuvres complètes ont été éditées dans la bibliothèque de la Pléiade (Gallimard) en 1997. Le directeur de l'édition, Jean-Yves Tadié, la créditait d'une postérité indissociable de son travail sur le langage. "Je ne connais pas d'écrivain disant mon maître, c'est Nathalie Sarraute. Mais son influence est immense. On ne peut affronter le langage dans le roman sans que son nom à elle vienne d'abord".
Le quotidien russe Segodnia a publié, quelques jours avant sa mort à Paris le 19 octobre 1999, l'une de ses rares interviews, dont voici quelques extraits: "Je suis née à Ivanovo (centre de Russie), où mon père, Ilia Tcherniak, travaillait comme ingénieur dans une fabrique de tissage et où il avait fait fortune", raconte la romancière. "Natalia Iliinitchna" est "la dernière des premières parisiennes russes", souligne le quotidien. "Notre vie de famille était un échec, et ma mère m'a emmenée à Paris, chez un homme qu'elle aimait. J'avais dix ans", poursuit-elle dans un russe parfait et recherché. "On m'a souvent demandé si j'étais Russe ou Française. Comme écrivain, je suis certainement Française. Mais j'ai toujours baignée dans le milieu et la culture russes. C'est mon père, qui a également émigré en France, qui m'a élevée. Ma belle-mère était Russe elle aussi, on parlait russe à la maison". Très attirée par son pays natal, elle se dit pourtant "fatiguée de suivre tout ce qui se passe" au jour le jour en Russie. "La littérature russe m'apporte beaucoup plus". Influencée, selon ses propres aveux, par les écrivains russes du siècle dernier Fiodor Dostoïevski et Nikolaï Gogol, Nathalie Sarraute se dit contente de la publication en russe de plusieurs de ses livres. Les Soviétiques ont pour la première fois pu apprécier l'oeuvre de Sarraute lors de la publication en 1968 de son roman Les Fruits d'or (écrit en 1964), par le mensuel Novy Mir, porte-voix du dégel littéraire commencé quelques années plus tôt. "Aucun de mes enfants, pas même ma fille aînée (l'écrivain journaliste Claude Sarraute) ne parle russe, c'est comme ça", regrette la vieille dame. "Attendez, mais pourquoi me posez-vous toutes ces questions? C'est pour un journal ? Non, non, écoutez, je ne donne plus d'interview à personne... Parlons plutôt russe encore un peu...".