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flics et voyous

Au printemps 2004, tout allait bien dans le meilleur des mondes du tango à Paris. Les tangueros tanguaient, les profs enseignaient, les musiciens jouaient, tout suivait son cours et la saison 2003-2004 semblait être en passe de délivrer une assez bonne cuvée, avec beaucoup de nouveaux amateurs dans les cours et sur les pistes de danse. Mais voilà qu'un sombre petit fait-divers mit en émoi la paisible communauté. A la suite de quelque présumé harcèlement sexuel dans les toilettes du célèbre Balajo, le responsable du lieu recueillit la plainte des victimes et mit dans son collimateur un vilain garçon qui hantait les bals. Le petit milieu des gens bien informés et des animateurs de milongas se mit alors à bruisser de conciliabules mystérieux et, un vendredi soir du mois de mars, l'agresseur fût à son tour agressé et passé à tabac dans la cour d'une milonga par une petite bande de justiciers armés de matraques. Contusions, vertèbres fêlées, points de suture, et bien entendu plainte du blessé au commissariat local. L'affaire fait depuis l'objet de toutes les conversations et tous les commentaires. Des lettres plus ou moins anonymes circulent même un peu partout. Chaque tanguero est plus ou moins sommé de se prononcer pour ou contre le bon ou le méchant, ceci sur les simples paroles de l'un ou l'autre camp et sans connaître véritablement ni les faits ni même les protagonistes. Bien évidemment, si ce fait divers fait autant jaser c'est parce qu'on n'a jamais rien vu de tel depuis au moins deux générations sur la discrète scène du tango parisien. Il n'y a pas plus sage qu'un tanguero du XXIème siècle à Paris. On n'est pas ici dans le milieu dragueur, encombré et turbulent de ces sauvages de la salsa, ni non plus dans celui du rock avec ses vulgaires pisseurs et vomisseurs de kronembourg ! Comparées aux moindres boîtes de nuit ou sorties de lycée, alcootests et dépistages de drogues sont relativement inutiles dans les soirées tango, et il faut longuement chercher dans l'histoire récente avant de trouver le moindre geste déplacé ou le moindre éclat de parole entre milongueros, tous plus polis et réservés les uns que les autres. Cela dit, la vie urbaine contemporaine étant ce qu'elle est, si la communauté tango s'agrandit d'année en année, il faut bien s'attendre à ce que quelques trublions viennent perturber de temps à autre le monde feutré des milongas. On espère toutefois, sans prétendre donner une leçon de morale à qui que ce soit, que les victimes et les divers responsables ne règleront pas les éventuels futurs problèmes de violence comme l'a fait notre ami justicier autoproclamé, c'est-à-dire à coups de chasse à l'homme et de bastonade vengeresse par milice privée. Ceci, faut-il le rappeller à des adultes, d'une part parce qu'aucun problème n'est jamais réglé par ce genre de vengeance individuelle qui fait parfois l'objet de dramatiques méprises et entraîne de dangereuses surenchères, d'autre part parce que la Justice est une institution qui est normalement faite pour régler ces problèmes dans une société civilisée, enfin parce que c'est totalement anti-productif pour la communauté qui attire ainsi sur elle l'attention jamais bienvenue de la police et d'autres services administratifs peu amicaux. Mais à ce niveau malheur est bon et -- c'est la nouvelle réellement importante de ce printemps 2004 -- il semble que profs et organisateurs commencent à prendre conscience, après des années d'amateurisme bon enfant, qu'un certain professionalisme devient nécessaire et qu'il est urgent pour eux de commencer à respecter quelques règles et lois pour l'accueil et la gestion maîtrisée du public. Certains le font déjà, mais tout le monde se doute plus ou moins que si des contrôles administratifs tatillons avaient lieu, ils révèleraient qu'une majorité est bel et bien hors la loi. Quelques sympathiques que soient les animateurs, les rendez-vous et les lieux pour apprendre ou pour danser le tango à Paris il faudra bien, avec l'augmentation du nombre de pratiquants, que les organisateurs respectent les règlements en la matière. Il leur faudra bien s'assurer contre les éventuels problèmes ou débordements du public et finalement assumer sérieusement la totalité de leurs responsabilités, en rapport avec l'action de réunir dans des lieux publics et contre rémunération de grandes ou petites foules. Il leur faudra bien à terme, ne serait-ce que pour ne pas être dénoncé dans le cadre d'une concurrence qui fatalement s'exacerbe, pouvoir justifier des autorisations obligatoires pour toute animation et pour tout lieu de divertissement public, et donc pour cela se mettre en conformité avec nombre d'obligations traitées plutôt légèrement jusqu'à présent : assurances, déclarations fiscales, cotisations sociales (notamment pour les profs qui donnent des cours), droits d'auteurs (à la SACEM pour la musique diffusée), normes diverses pour les salles de bal (sécurité des lieux et des personnes, anti-incendie, anti-bruit, hygiène,..), etc. Toutes choses pénibles qui décourageront sans doute quelques vocations mais que le public est de plus en plus légitimement en droit de réclamer pour sa sécurité et sa tranquillité. C'est à ce prix, celui de la responsabilité des organisateurs et du respect des lois, que les rencontres de tango pourront continuer à se développer à Paris. Avril 2004

 

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