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diego vignatti

Tout commence par des images d'archives, une voix off, l'arrivée d'immigrants à Buenos Aires au début des années '30. Fourmillement d'une cité cosmopolite se forgeant une identité dans la fusion de cultures amérindienne, noire, européenne. A ce moment-là le tango existe déjà depuis plus d'une génération, amusement des compadritos et de la sous-population miséreuse, métissage de rythmes africains, de payadas amérindiennes et de divers danses et airs des immigrés espagnols, italiens, juifs d'Europe de l'est, . . . L'Allemagne a apporté le bandoneon et la France des années folles, entiché d'exotisme, lui a donné sa bénédiction mondaine et ses prostituées. Il s'est extirpé des bordels et des bastringues des faubourgs pour gagner les nouveaux salons plus chics du centre ville. Buenos Aires, toutes classes confondues, s'enflamme. Les milliers d'immigrants présents en cet endroit du monde ces années-là ne réalisent pas le rêve de fortune qui les a attirés ici mais ils y créent le tango. Une décennie plus tard la ville compte 650 orchestres et plus de 350 bals par semaine. Le mythe est né. Il s'inscrira pour toujours dans le tréfonds de l'âme et de la nation argentine.
C'est cet esprit éternel et universel du tango enraciné au coeur du peuple porteno que Diego Martinez Vignatti a essayé de filmer dans son documentaire Nosotros, "Nous". Petit-fils déplacé de la génération immigrée des années '30 et '40 (il est né en 1971 et vit en Belgique), sa caméra suit quatre personnages, héritiers comme lui de cet âge d'or du tango : une jeune prof de danse, un quinquagénaire, un jeune de retour au pays, . . . Caméra sensible, à hauteur d'homme, lente, sans esbrouffe, professionnelle - en tant que chef opérateur il a déjà signé l'image de 24 films - pour essayer de saisir dans le labyrinthe de la ville et de la vie ce qu'est l'essence du tango argentin. Pas seulement la danse ou la musique, pas le tango paillette, le tango folkore, le tango spectacle pour touriste ou le tango enfermé sous les tonnes de clichés qui pèsent sur lui, non, l'esprit du tango dans le coeur et la vie quotidienne de portenos d'aujourd'hui.
Ce que tente de montrer Vignatti est cette passion qui a habité, habite et habitera toujours n'importe quel amateur de tango au monde, une passion faite de douleur et d'extase, née du besoin de conjurer l'exil, les viscissitudes de la vie et un immense besoin d'amour mais qui rejoint le plus profond des sentiments de la condition humaine, le "sentimiento" existentiel commun à tous les hommes conscients de leur présence et de leur finitude sur la terre, cette sorte d'état d'âme que l'on retrouve sous d'autres expressions ailleurs, partout en d'autres temps, d'autres lieux : le feeling du blues noir américain, le duende du flamenco gitan, la saudade du fado portugais. Ce qui constitue le coeur éternel et universel de l'être humain.
Bien évidemmment, rares sont les auteurs qui peuvent se coltiner une thématique aussi vaste et élever l'histoire sociale locale ou les fragments de vies anecdotiques des portenos à cette dimension du coeur de l'humanité. Vignatti, avec son documentaire, y parvient sans doute moins génialement que son compatriote écrivain Jorge-Luis Borges, mais l'essai a le mérite de l'ambition et de la sensibilité; il devrait intéresser tous ceux qui s'interrogent sur leur propre passion du tango argentin. Octobre 2003

 

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