aubade - laurent godard
Après les affiches et les calendriers voici le CD. Dans la publicité
pour lingerie la tendance désormais, après la provocation sexuelle,
est à un retour vers le sentiment et l'intime. A ce titre, la campagne
publicitaire 2004 de la marque Aubade, centrée sur l'univers du tango,
exploite un bon concept. Elle nous permet aussi de mesurer à quel
point les vieux clichés fantasmatiques de séduction, amour,
passion, élégance, érotisme, etc, pèsent lourdement sur cet univers. Mais après tout, si cette image plombée
peut encore servir de véhicule pour vendre des soutiens-gorges et
des petites culottes à la mode, si une si petite partie de l'imaginaire
tango peut séduire ainsi les communicants du second degré et
les faiseurs de modes, c'est sans doute parce que la source qui lui sert
de support ne se situe décidément pas dans un passé
mort. Ses contradictions artistiques et ses flirts avec la marchandisation
n'empêchent pas la culture tango de rester plus vivante que jamais
et d'inspirer beaucoup d'artistes contemporains.
Sur le plan musical, l'album Leçons de tango compilé par Laurent Godard -- célèbre sounddesigner des défilés de Dior, Lagerfeld et Christian Lacroix
-- mérite attention par son travail de recyclage postmoderne. Rien
de vraiment original puisque tout est déjà connu, extrait notamment
des CD précurseurs Piazzolla remixed et Bajo Fondo Tango Club.
Mais on peut d'ores et déjà lui décerner la palme 2004
de petit classique du Nouveau Tango tant il se présente à la
fois mesuré, équilibré, décalé et subtilement
expérimental. L'architecture d'ensemble, moitié electro-tango
moitié tango traditionnel-contemporain, dégage une belle atmosphère
tonique et poétique. Chaque morceau pris individuellement délivre
de voluptueuses vibrations. Les mix et remix electro sont énergisants,
à la pulsation redoutable d'efficacité, mais ils restent relativement
légers, mélodiques, presque introspectifs et langoureux, en
tout cas moins violents que ceux du Gotan Project. Contrairement au rythme
industriel de ce dernier ils préserveront la relation psychique, donc
l'intimité sensuelle du couple dansant si d'aventure ce CD passe dans
les milongas. Et il conviendra à merveille aux spectacles de danseurs
du nouveau tango, style Chicho par exemple. Les 16 enregistrements sont pour
la plupart tirés du répertoire Piazzolla. Qu'ils soient mixés
par Hi Perspective, Koop et Campo, ou orchestrés par les excellents
ensembles contemporains que sont El Arranque, Escuela de Tango ou Vale Tango,
ils semblent tous dialoguer entre eux pour insufler une vigoureuse bouffée
d'air frais dans l'univers mélancolique du tango sans lui faire perdre
son âme. Comme souvent dans ce genre d'albums de night-clubbers on
trouve aussi beaucoup de musiques de films. Il s'agit ici principalement
de celles produites par la riche collaboration entre Fernando Solanas et
Astor Piazzolla, avec notamment les interprétations enchanteresses
de Vuelvo Al Sur par Koop -- comme un air de grand large, cris des mouettes
et bruit des vagues à l'appui -- ou d'El Viaje par Liliana Herrero
et Nestor Marconi, sans oublier le célèbre Tango Tango de
Solanas par Piazzolla lui-même. Cerise sur le gâteau des BO:
un très intimiste Caminito chanté par Marcelo Mastroianni.
Egalement des extraits de pièces de théâtre (Sensuel)
ou de ballets (Danza Maligna), un déchirant Goyeneche / Marconi
et un très jazzy Comme il faut par le duo Horacio Salgan / Ubaldo
de Lio.
Bref, une compilation éclectique, pleine d'esprit, poétique,
audacieuse et intense, qui réunit quelques-uns des meilleurs rénovateurs du tango. Janvier 2004