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La République des Lettres

Biographie Victor Segalen

Victor Segalen
Stèles

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0041-4
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • AmazoniTunes

Victor Segalen

Victor Segalen

Écrivain français, Victor Segalen est né à Brest le 14 janvier 1878. Après de solides études classiques chez les jésuites, il fit des études médicales à Brest, Rennes et Bordeaux, et devint médecin de la marine avec une thèse soutenue le 29 janvier 1902 et intitulée Les Cliniciens ès lettres dans laquelle il étudiait la documentation médicale de certains écrivains naturalistes. Il en détacha un chapitre: Les Synesthésies et l'école symboliste, vigoureux plaidoyer en faveur des symbolistes publié dans le Mercure de France d'avril 1902.

La rencontre de Huysmans dès 1899 et plus tard de Remy de Gourmont lui donne accès au milieu du Mercure de France. Son premier poste sur l'aviso "La Durance" à Tahiti à partir de janvier 1903 le convainc d'emblée que la civilisation polynésienne est menacée de mort par l'influence européenne et par l'insouciance des populations. La vue des tableaux et la lecture des écrits de Paul Gauguin, mort à Hiva-Oa depuis peu, lui font comprendre par l'intérieur ce qu'avait été autrefois la vie sensuelle et joyeuse des Polynésiens. Un article publié dans le Mercure de France en juin 1904, Gauguin dans son dernier décor et, beaucoup plus tard, un Hommage à Gauguin en 1918 témoignent de son admiration. De retour en France en février 1905, il publia en 1907 Les Immémoriaux sous le pseudonyme de Max-Anély. Dans ce livre soigneusement documenté, sous une affabulation romanesque et poétique, Segalen montrait comment sous la pression politique et religieuse les Polynésiens, "les Immémoriaux", en étaient venus à oublier leurs paroles sacrées, leurs dieux, leur sensuelle recherche du bonheur. C'était pour Segalen le moyen de mettre en pratique ses idées sur l'exotisme en prêtant la parole à des récitants maoris, en feignant d'adopter leurs valeurs. Il se montrait en cela un précurseur des ethnologues modernes. Le livre, de plus, est l'expression de sa violente révolte contre sa rigoureuse éducation morale et religieuse. Elle avait commencé dès Bordeaux, mais les facilités tahitiennes, l'influence de Nietzsche et l'exemple de Gauguin rangé parmi les "hors-la-loi" avec Rimbaud, sur qui il publie une étude, Le Double Rimbaud, l'avaient singulièrement renforcée.

Sa passion pour la musique, très cultivée dans sa famille, son admiration pour Debussy le conduisent à faire la connaissance du Maître à qui il propose en vain le livret de Siddhartha, inspiré par le bouddhisme. Cependant Debussy lui suggère d'écrire un Orphée. Ils y travaillent en commun, mais Orphée-Roi paraîtra seulement en 1921, après la mort du musicien et du poète. C'est avec la Chine que Segalen, selon Jouve citant Rimbaud, "trouve le lieu et la formule". Nommé élève interprète de la marine, il arrive à Pékin en juin 1909, rencontre à Tien-Tsin Paul Claudel, pour qui il éprouve plus d'admiration littéraire que de sympathie religieuse, et entreprend avec l'écrivain A. Gilbert de Voisins une grande expédition en Chine centrale et au Japon qui durera neuf mois. De ce séjour en Chine, qui s'interrompra avec la guerre en août 1914, naîtront les grandes oeuvres du poète. Stèles (1912 et 1914), recueil de quarante-huit poèmes -- de soixante-quatre dans la deuxième édition -- se présente extérieurement et intérieurement à la chinoise. Mais l'exotisme, ici, ne sert que d'alibi. Ni traductions, ni adaptations, ces poèmes expriment en réalité l'univers secret du poète, ses opinions, ses sentiments, ses expériences du voyage. Par le détour de la Chine, par ce qu'il appelle l'allégorie, ils suggèrent des notions trop pures pour tomber sous la coupe des mots. L'indicible, l'invisible, l'inouï hantent en particulier les stèles du "Milieu".

Avec Peintures (1916), quittant le style dense et concentré des inscriptions lapidaires, Victor Segalen adopte le parti de décrire ou de recréer par le langage parlé des peintures taoïstes, un long rouleau de soie, des portraits d'empereurs décadents. Ce sont des poèmes en prose à mettre sur le même plan que les Illuminations de Rimbaud et Connaissance de l'Est de Claudel. Ce poète était aussi un sinologue et un archéologue. La mission archéologique officielle formée de Victor Segalen, Gilbert de Voisins et Jean Lartigue, découvrit en 1914 la plus ancienne statue monumentale chinoise et identifia le site funéraire de l'empereur Ts'in Che-Houang dont l'exploration devait être soixante ans plus tard la plus grande découverte du siècle.

Mission archéologique en Chine (édition posthume, 1923-24) et Chine, La grande statuaire (posthume, 1972) donnent une idée de sa compétence dans ce domaine. Le beau livre d'Équipée (posthume, 1929) est le complément poétique de ces explorations dans la terre de Chine. Dans une magnifique prose, le poète s'interroge sur les rapports entre le Réel et l'Imaginaire. Au terme du voyage dominé par l'exotisme, c'est-à-dire l'esthétique du Divers, le poète est contraint d'avouer que le conflit complémentaire entre le Réel et l'Imaginaire laisse de côté l'essentiel: "... l'être en un mot reste fièrement inconnu." Cependant, de son séjour à Pékin, grâce à la fréquentation d'un jeune Français qui lui servait de professeur de chinois et lui faisait des confidences rocambolesques, il tira un roman, René Leys (posthume, 1922), dont l'intrigue et les personnages restent hypothétiques. C'est le roman de la connaissance impossible. Le Fils du Ciel (posthume, 1975) date également des premiers jours de l'arrivée en Chine. Oeuvre difficilement classable, comme tous les livres de Segalen, elle tient du roman historique et de l'épopée. Le héros en est l'empereur Kouang-Siu, dont Segalen fait une sorte de Hamlet chinois prisonnier du glorieux passé et de son amour, et promis à la mort.

Malgré sa santé déjà fortement atteinte, après une période passée à l'hôpital de Rochefort, puis de Brest, Victor Segalen obtient d'être envoyé chez les fusiliers marins aux environs de Dunkerque. En décembre 1916, il accepte de participer à une mission en Chine chargée de recruter des travailleurs. Il se trouve à Pékin en février-mars 1917, en même temps que Saint-John Perse alors en poste à la Légation de France. Il l'avait rencontré au cours d'un déjeuner à Bordeaux avec Claudel vers la fin d'octobre 1914, mais il semble que cette fois ils ne se virent pas. Il fait passer un examen médical à des travailleurs à Nankin et profite de ses loisirs pour procéder à des recherches archéologiques en étudiant les tombeaux des Leang. Un long poème intitulé Thibet (éd. M. Taylor, 1979), sa dernière oeuvre est, comme les autres, le constat désespéré d'un échec: Po-Youl, nom dérisoire de l'innommable, symbolise le but vers lequel tend tout voyage, mais qui se dérobe à mesure qu'on monte à grand-peine vers lui. Pendant que s'achève la guerre, Segalen s'efforce de lutter contre un mal physique mystérieux sans symptômes définis et contre plusieurs dépressions nerveuses peut-être liées à son désir de renoncer à l'opium. Son désarroi spirituel est tel qu'il adresse à Claudel une lettre jugée déchirante par le destinataire, mais prise à tort pour un appel religieux. Ses sentiments à l'égard d'une grande amie, Hélène Hilpert, ont peut-être malgré tout adouci une issue inéluctable. Le 21 mai 1919, on le retrouva mort dans la forêt du Huelgoat (Finistère), avec une blessure au talon. Un garrot de fortune prouve qu'il essaya d'arrêter l'hémorragie. Les hypothèses de suicide n'ont jamais été confirmées.

Toute l'oeuvre, prose et poèmes, si abondante en si peu d'années de ce contemporain de Guillaume Apollinaire est inspirée par une très haute idée de la littérature. Elle est marquée par une évolution de la conscience sensuelle et esthétique de sa jeunesse vers le mysticisme agnostique d'un esprit en quête des suprêmes secrets: "Il y a toujours le mystique orgueilleux qui sommeille en moi [...] moi si anticatholique pur, mais resté, d'essence amoureux des châteaux dans les âmes et des secrets corridors obscurs menant vers la lumière."

Copyright © Henry Bouillier / La République des Lettres, Paris, dimanche 21 avril 2013. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.

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