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La République des Lettres

Biographie Fernando Pessoa

Fernando Pessoa
Traité de la négation

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0034-6
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • AmazoniTunes

Fernando Pessoa

Fernando Pessoa

Traité de la négation

1 - Le Monde est formé de forces de deux ordres : les forces qui affirment et les forces qui nient.

2 - Les forces qui affirment sont les forces créatrices du monde, émanantes successivement de l'Unique, centre de l'Affirmation.

3 - Les forces qui nient émanent de l'au-delà de l'Unique.

4 - L'Unique, dont Dieu, Dieu Créateur des Choses, n'est qu'une manifestation, est une Illusion. Toute la création est fiction et illusion. De même que la Matière est une Illusion - ce qui a été prouvé - pour la Pensée; la Pensée, une illusion pour l'Intuition; l'Intuition, une Illusion pour l'Idée Pure; l'Idée Pure est une Illusion pour l'Etre. Et l'Etre est essentiellement Illusion et Fausseté. Dieu est le Mensonge Suprême.

5 - Les forces qui nient sont celles qui partent de l'au-delà de l'Unique. En dehors de l'Unique, pour notre Intelligence, il n'y a rien. Mais de même qu'il est possible de penser que cet Unique n'existe pas, de même il est possible de le nier; il n'est pas l'Unique, le Suprême, le réellement Suprême (ici les mots manquent). Pouvoir le nier est le nier; le nier revient à ce qu'il ne soit pas.

6 - La négation suprême est ce que nous appelons le non-Etre. Le Non-Etre n'est pas pensable, parce que penser le non-être est ne pas penser. Et néanmoins, vu que nous employons le terme de non-être, il est pensable, d'une certaine façon. Du moment qu'il est pensé, il devient l'Etre. Ainsi l'Etre se dégage, par opposition au Non-Etre. Le Non-Etre est ce qui le précède, pour parler en langage humain.

7 - La Matière, qui est la plus grande des négations de l'Etre, est l'état qui, pour cette raison, se trouve le plus près du Non-Etre. La Matière est la moindre des illusions, le plus faible des mensonges. D'où son caractère d'Evidence. A mesure que l'Etre se manifeste, il se nie; à mesure qu'il se nie, il crée le Non-Etre. Comme le Non-Etre est antérieur à l'Etre, cette négation que l'Etre fait de lui-même, est une création, si l'on peut s'exprimer ainsi.

8 - Nous devons être des créateurs de Négation, des négateurs de la spiritualité, des constructeurs de Matière. La Matière est l'Apparence; l'Apparence est en même temps l'Etre et le Non-Etre (si l'Apparence n'est pas l'Etre, elle est le Non-Etre. Si c'est le Non-Etre; ce n'est pas l'Apparence. Pour qu'elle soit l'Apparence, elle doit, par conséquent, être l'Etre).

9 - La négation consiste à aider le Manifesté à se manifester davantage, jusqu'à ce qu'il se dissolve en Non-Etre.

10 - Il se trouve deux principes en lutte; le principe d'Affirmation, de Spiritualité, de Mysticisme, qui est le Chrétien (pour nous, actuellement), et il y a celui de la Négation, de Matérialité, de Clarté, qui est Payen. Lucifer - le porteur de la Lumière, est le symbole nominal de l'Esprit qui Nie. La révolte des anges engendra la Matière, retour au Non-Etre, libération de l'Affirmation.

11 - Tous les mondes affirmés par les théosophes existent réellement. Mais ils se trouvent à l'intérieur de l'Illusion, qui, dans la mesure où elle existe, est la Réalité. Dieu existe en effet pour lui-même; mais Dieu se trompe. Comme tout un chacun pense exister, et n'existe pas pour Dieu, sinon comme partie de lui-même, ceci, dans l'absolu, est ne-pas-exister; ainsi, Dieu croit exister mais n'existe pas. L'être lui-même est le Non-Etre du Non-Etre seulement, l'affirmation mortelle, de la Vie.

Déficience d'imagination des imaginations excessives

Chaque fois que quelqu'un se met à discuter du caractère du peuple portugais, on peut deviner qu'à un moment donné de l'analyse, il va dire que l'une des facultés les plus remarquables de notre esprit est l'excès d'imagination. Par un hasard inexplicable, cette appréciation vulgaire se trouve être juste. Il est certain que le Portugais souffre d'une imagination excessive.

Or, les créatures à l'imagination excessive sont fatalement atteintes d'un défaut; ce défaut, c'est la déficience de l'imagination.

Ceci peut sembler paradoxal à quiconque croit, naïvement, qu'il est des paradoxes dans ce monde. Cette assertion, néanmoins, est si facile à démontrer qu'il ne vaut pas le coup de remarquer la façon dont elle se présente.

Prenons un exemple connu. C'est le cas de ces littérateurs modernes qui dans leurs oeuvres s'enthousiasment pour les fous, pour les vagabonds et pour les criminels-nés, ou encore, à un degré moins sanglant, pour les prolétaires "ravagés et opprimés" et d'autres objets analogues.

Or, tout artiste, sinon par sa condition sociale, est, du moins par tempérament, le contraire de ce que tous les fous, les criminels-nés ou les prolétaires sont réellement et véritablement. Il s'ensuit, donc, que sa sympathie pour de telles créatures ne peut naître que de la violente nécessité de faire déborder des sujets du milieu où il vit -- aussi bien du milieu social, de gens pacifiques et seulement diserts, qui entoure les artistes, que du milieu pour ainsi dire nerveux, c'est à dire cette disposition raffinée et exigeante qu'est l'atmosphère spirituelle dans laquelle l'artiste vit avec lui-même. Et cette nécessité de déborder hors de l'atmosphère psychique, où il respire, est manifestement fruit d'une excessive imagination. Du reste, le genre littéraire sur lequel cette sorte d'auteurs met l'accent - des sujets excessifs, des sentiments exagérés, un style complexe et malade --, tout cela confirme qu'il s'agit d'un phénomène relevant d'une imagination excessive.

Mais, si nous placions l'un de ces littérateurs parmi des criminels-nés réels, parmi de véritables fous ou parmi des prolétaires existants, le condamnant, non pas à parcourir ce milieu, mais à y vivre, le malheureux ne le fuirait pas seulement si nous l'en empêchions. La même condition nerveuse et imaginative raffinée, qui lui procure l'enthousiasme pour ces milieux, lui serait enlevée, s'il y demeurait un peu.

Quelle explication donner à ce phénomène ? Celle que, d'emblée, nous avons donnée : la déficience imaginative qui caractérise les trop imaginatifs. Si en construisant dans son esprit une représentation nette de ces figures qui l'attirent, l'artiste réussissait à les imaginer pour de bon, avec une netteté absolue, une telle netteté équivaudrait à un avant-goût de ces mêmes milieux et aboutirait, tout de suite, à ce dégoût pour eux qu'un réel contact produirait.

Toute cette démonstration est venue à propos de l'excès d'imagination du Portugais. Et le but de cette évocation est le fait que nous pouvons établir clairement quelle thérapeutique appliquer à ce cas. Avec la démonstration que nous avons faite, la thérapeutique est toute indiquée, ici, aussi bien que dans l'homéopathie, similia similibus curantur, l'excès imaginatif du Portugais, qui lui est si préjudiciable, ne peut être soigné qu'au moyen d'une culture de plus en plus grande de l'imagination portugaise. éduquer les nouvelles générations par le rêve ou la rêverie, par le culte prolixe et maladif de la vie intérieure, revient à les éduquer pour la civilisation et pour la vie. Outre qu'il est facile et agréable, le traitement offre des résultats assurés.

Tendresse lusitanienne

Chaque fois que quelqu'un se met à discuter du caractère du peuple portugais, on peut deviner qu'à un moment donné de l'analyse, il va dire que l'une des facultés les plus remarquables de notre esprit est l'excès d'imagination. Par un hasard inexplicable, cette appréciation vulgaire se trouve être juste. Il est certain que le Portugais souffre d'une imagination excessive.

Or, les créatures à l'imagination excessive sont fatalement atteintes d'un défaut; ce défaut, c'est la déficience de l'imagination.

Ceci peut sembler paradoxal à quiconque croit, naïvement, qu'il est des paradoxes dans ce monde. Cette assertion, néanmoins, est si facile à démontrer qu'il ne vaut pas le coup de remarquer la façon dont elle se présente.

Prenons un exemple connu. C'est le cas de ces littérateurs modernes qui dans leurs oeuvres s'enthousiasment pour les fous, pour les vagabonds et pour les criminels-nés, ou encore, à un degré moins sanglant, pour les prolétaires "ravagés et opprimés" et d'autres objets analogues.

Or, tout artiste, sinon par sa condition sociale, est, du moins par tempérament, le contraire de ce que tous les fous, les criminels-nés ou les prolétaires sont réellement et véritablement. Il s'ensuit, donc, que sa sympathie pour de telles créatures ne peut naître que de la violente nécessité de faire déborder des sujets du milieu où il vit -- aussi bien du milieu social, de gens pacifiques et seulement diserts, qui entoure les artistes, que du milieu pour ainsi dire nerveux, c'est à dire cette disposition raffinée et exigeante qu'est l'atmosphère spirituelle dans laquelle l'artiste vit avec lui-même. Et cette nécessité de déborder hors de l'atmosphère psychique, où il respire, est manifestement fruit d'une excessive imagination. Du reste, le genre littéraire sur lequel cette sorte d'auteurs met l'accent - des sujets excessifs, des sentiments exagérés, un style complexe et malade --, tout cela confirme qu'il s'agit d'un phénomène relevant d'une imagination excessive.

Mais, si nous placions l'un de ces littérateurs parmi des criminels-nés réels, parmi de véritables fous ou parmi des prolétaires existants, le condamnant, non pas à parcourir ce milieu, mais à y vivre, le malheureux ne le fuirait pas seulement si nous l'en empêchions. La même condition nerveuse et imaginative raffinée, qui lui procure l'enthousiasme pour ces milieux, lui serait enlevée, s'il y demeurait un peu.

Quelle explication donner à ce phénomène ? Celle que, d'emblée, nous avons donnée : la déficience imaginative qui caractérise les trop imaginatifs. Si en construisant dans son esprit une représentation nette de ces figures qui l'attirent, l'artiste réussissait à les imaginer pour de bon, avec une netteté absolue, une telle netteté équivaudrait à un avant-goût de ces mêmes milieux et aboutirait, tout de suite, à ce dégoût pour eux qu'un réel contact produirait.

Toute cette démonstration est venue à propos de l'excès d'imagination du Portugais. Et le but de cette évocation est le fait que nous pouvons établir clairement quelle thérapeutique appliquer à ce cas. Avec la démonstration que nous avons faite, la thérapeutique est toute indiquée, ici, aussi bien que dans l'homéopathie, similia similibus curantur, l'excès imaginatif du Portugais, qui lui est si préjudiciable, ne peut être soigné qu'au moyen d'une culture de plus en plus grande de l'imagination portugaise. éduquer les nouvelles générations par le rêve ou la rêverie, par le culte prolixe et maladif de la vie intérieure, revient à les éduquer pour la civilisation et pour la vie. Outre qu'il est facile et agréable, le traitement offre des résultats assurés.

Source : Traité de la négation, Déficience d'imagination des imaginations excessives et La tendresse lusitanienne ou l'âme de la race de Fernando Pessoa, ont été traduit du portugais par Inès Oseki-Depré et publiés respectivement dans les numéros 7 et 8 de La République des Lettres, Paris, septembre et décembre 1994.

Copyright © Fernando Pessoa / La République des Lettres, Paris, dimanche 21 avril 2013. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.

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