Rentrée des Prix littéraires
Les Prix littéraires sont cette année encore objet des
conversations de tous les dîners en ville depuis le 15
août. Qui aura le Goncourt ? Eric Fottorino avec son Korsakov, Daniel Rondeau avec les
1.000 pages de Dans la marche du temps, Yann Moix pour sa Partouz
échangiste (extrait du roman: "Michel Houellebecq est un con"),
Marc Lambron (Les Menteurs), Michel Crépu (Quartier
général), Jean-Paul Dubois (Une vie française, mais
il vient de recevoir le Prix du roman de la Fnac), Amélie
Nothomb (Biographie de la faim), Chloé Delaume (Certainement
pas), Claude Castéran (Un si court espoir), Marie Nimier (La
Reine du Silence), Noëlle Châtelet (La Dernière Leçon),
le jeune et brillant proustien Gaspard Koenig, 22 ans, pour Octave,... ? Les titres sont
déjà très bien. Il est probable que le
lauréat sera un(e) journaliste tant il y a profusion
littéraire de journalistes dans les librairies. Il faut dire que
les éditeurs aiment beaucoup publier les romans des membres de
cette profession dont chacun connaît la haute déontologie en matière de renvoi d'ascenceur, presque aussi payante que celle de juré de prix littéraire. Mais chut..., nous sommes entre gens de lettres bien élevés.
Petite originalité de saison, apparaissent ici ou là quelques livres et commentaires
s'affichant ouvertement un peu plus désabusés que
d'habitude. C'est le cas de Frédéric Beigbeder qui dans
un article de l'Express annonce un "Goncourt de la dernière
chance" pour l'année 2004. Constatant que quelque chose a
changé depuis deux ou trois ans -- "tout le monde s'en fout",
dit-il -- il prévoit la fin de cette institution bien
française qui aura tenu juste un siècle avant de
trépasser cette saison si le jury ne réussit pas à
résoudre définitivement l'éternelle quadrature du
cercle : récompenser un roman à la fois littéraire
et commercial. Ancienne lauréate du prix Interallié,
Christine Arnothy a elle intitulé son nouveau roman Une rentrée littéraire,
aimable fiction que ses amis critiques disent "réaliste". Légèrement
plus acerbe quoique parfait dans le rôle d'enfonceur de portes ouvertes, Guy Konopnicki devait publier le 23 septembre aux éditions de L'Archipel un pamphlet intitulé Les
Prix littéraires vont très bien et pourquoi plus personne
ne les prend au sérieux, mais aux dernières nouvelles son éditeur (Jean-Daniel Belfond) ayant refusé le manuscrit qui serait selon lui hors-sujet et trop mou, il sera publié fin octobre chez Jean-Claude Gawsewitch sous le titre Prix littéraires: la grande magouille. Pour couronner le tout, l'ex-sérieux magazine hebdomadaire Livres Hebdo, à usage des professionnels de la profession, se met de la partie cette année en élisant comme meilleur roman de l'année que les jurés du Goncourt doivent absolument récompenser sous peine d'être définitivement perdus pour l'humanité, un roman inachevé datant des années '40 sur la grande débâcle, Suite française, d'Irène Némirovsky publié chez Denoël. Sans doute un début d'Alzeihmer pour cette revue qui vient de fêter ses vingt-cinq ans d'existence mais, qui sait, le petit monde des lettres françaises toujours avide de commémorer les morts, est tout à fait capable de juger cette idée audacieuce pertinente.
Décidément, c'était mieux avant, en 2002 par exemple, lorsque l'inénarrable Josyane Savigneau (rédactrice en chef du Monde des Livres) se fendait d'un
article vengeur parce que Philippe Sollers avait été
éliminé de la sélection du Goncourt en raison du
sursaut d'honnêteté intellectuelle d'un membre du jury. Ou
en 2003, année du centenaire du Prix Goncourt, lorsque les
jurés ont annoncé contre tous les usages la remise de
leur prix deux semaines à l'avance, ce qui a pris de court toute
la petite communauté et scandalisé les dames très
susceptibles du Fémina (Rien de tel cet automne : Edmonde
Charles-Roux, présidente du jury du Prix Goncourt, et Claire
Gallois, présidente du jury du Prix Femina, se sont entendues
sur le calendrier : le Femina sera décerné le mercredi 03
novembre, en même temps que le prix Médicis et le Goncourt
le lundi 08 novembre, en même temps que le Renaudot).
Mais cette année, c'est sûr, personne n'échappera
au grand débat de société à la
télévision. On y apprendra sans doute qu'il existe quelque 1.200 prix littéraires (près de 2.000 en comptant les distinctions et résultats de concours littéraires divers) régulièrement attribués en francophonie, et qu'une centaine de nouveaux prix sont créés chaque année
par des marques ou des secteurs d'activité, couvrant ainsi
toutes les catégories de chaque genre et sous-genre
littéraire, chacun d'entre eux étant âprement
défendu sur le plan de la communication par son "parrain"
sponsor. On sera informé qu'un Goncourt, jusqu'à
aujourd'hui le plus "vendeur" des prix littéraires,
s'écoule en moyenne à plus de 400.000 exemplaires (quatre
millions pour La Condition humaine
d'André Malraux chez Gallimard en 1933, meilleure vente de tous
les primés) et qu'il peut à lui seul sauver une maison de
la faillite (ce fut le cas pour le Mercure de France, filiale de
Gallimard, en 1995) ou du moins lui assurer son bénéfice
annuel. Puis on nous dira comment les milieux littéraires se
mettent en ébullition chaque année dans l'attente de la
vague automnale des grands prix, générant dès le mois de juin du côté de
Saint-Germain-des-Prés les premières rumeurs qui permettront l'alimentation spirituelle des
dîners en ville d'éditeurs, auteurs et journalistes ainsi
que les trafics et échanges d'articles dans la presse jusqu'à la déferlante des grands prix de fin octobre / début novembre : Prix Goncourt, Médicis, Renaudot, Femina, etc. Vertueux, on dénoncera probablement les choix très discutables des
jurés et surtout les "magouilles" liées à la
composition des jurys : ces quarante ou cinquante noms qui
règnent en maître pendant de nombreuses années
alors qu'à l'étranger, par exemple chez les anglo-saxons, les membres changent chaque année. On s'indignera que deux maisons seulement, Gallimard et Grasset, et dans
une moindre mesure Le Seuil et Albin Michel (ou leurs filiales),
obtiennent la quasi totalité des grands prix et notamment le
Goncourt. On se scandalisera de ces critiques professionnels qui sont
souvent des intimes des auteurs et des éditeurs, et souvent en
plus eux-mêmes publiés dans les maisons dont ils rendent
compte de la production. On y apprendra peut-être aussi que
beaucoup de petites maisons d'édition publient également
des romans "goncourables" mais que ceux-ci ne peuvent être
sélectionnés en raison des faibles
notoriété et structure de l'entreprise qui les portent.
Les éditeurs doivent en effet avoir les reins solides pour recevoir un goncourt car les
prix ne sont pas seulement affaire de littérature et de
mondanité, ils sont aussi affaire de financement,
d'organisation, de publicité et de réseaux de
diffusion. L'animateur télé et néanmoins
auteur conluera enfin en disant que la crédibilité des
grands prix d'automne étant entachée, la confiance se
reporte désormais sur des jurys populaires et non professionnels
créés par les médias : Prix Internet du Livre,
Prix du Livre Inter (une sorte de prix Goncourt des médias),
Prix Europe 1, RTL-Lire, France-Télévision, des Lectrices
de Elle, etc. L'actualité des récompenses ne
s'arrête jamais.
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À lire : Bertrand Labes Guide Lire des Concours et Prix littéraires
Site web: Annuaire des Prix littéraires
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© septembre 2004