Philippe Sollers
De l'Ancien régime :
Balladur, Sollers, Savigneau et le Monde des Livres
Le nouveau Monde des Livres est sorti. Il porte beau, enrichi de quatre pages et davantage encore
d'informations sur les mouvements de personnel et les organigrammes
de la nomenklatura des maisons d'édition. Pour
l'actualité étrangère il y a davantage
d'entrefilets. Les rubriques ? c'est à peu près la
même chose. On reprend les mêmes et on recommence. Josyane Savigneau sur Denis Roche ("beau, violent et sombre..."), Pierre Lepape sur Milan Kundera ("le pesant sérieux des bavardages"... ), Christian Jaccard sur Jean Baudrillard (Prix
d'excellence), Alain Minc sur Ferenczi (ou l'inverse). La vieille
institution sait y faire. On y ouvre grand quelques fenêtres
déjà ouvertes dans l'officialité en
évitant de faire la moindre vague, on y voit toujours autant
de paradoxes partout, on y défend la poésie une fois
l'an sans publier de poèmes et on y écrit toujours sur
un livre dont le titre aurait pu être écrit au
XIXème siècle: L'Inde pense-t-elle ?. Ce dernier
sujet bien entendu sans mentionner qu'il pourrait y avoir
matière à débattre, ne serait-ce que parce que,
avec les moyens qui sont les siens, la République des Lettres
l'a déjà traité de façon
approfondie (Voir Numéro 5). Mais non, pour cette vieille
fille, l'étranger, c'est toujours "d'autres mondes".
Donc Minc et Savigneau ci, Philippe Sollers là ! On savait
l'auteur de Femmes et du Secret très Figaro;
qu'il avait traîné ses guêtres de styliste alerte
et émule dans de bien étranges ruelles. Mais le
voilà, après Aragon, Mao et le Pape -- mais le
Maître, toujours le Maître -- qui dans les pages de
L'Express fait un pas de menuet des plus poudrés du
côté de sa très tatchérienne sous cape
Éminence Edouard Balladur. A quelques semaines des élections
présidentielles, le voilà qui sort sa rapière de
haute versatilité et l'engage -- mais avec elle, ce qui est
plus grave, celle supposée de la littérature dont il
est la moderne, absolument moderne incarnation -- pour un effet de
style "britannique et vaticanesque", du côté de tous les
flous artistiques et des ennemis de l'avenir.
Celui qui a parfois tenté de tirer la littérature
française moderne de son jansénisme
indécrottable, du froid piétisme notarial qu'elle a
attrapé quelque part entre Gide et Breton, entre Nrf et
Révolution Surréaliste, le chantre du style
franc cochon à la française (selon lui) est
désormais, qu'on se le dise, dans l'insoutenable
légèreté du Gentleman au Vatican. Mais Sollers
est notre baiseur de Séville. L'essentiel pour lui,
semble-t-il, est de continuer. Continuer à durer, continuer
à occuper la place, toute la place, jusqu'à publier un
article pour défendre même la poésie dont, en
tant qu'éditeur et directeur de revue, il n'a quasiment jamais
publié une ligne. Et continuer à nous seriner la
partition à clavecin de l'Écrivain et du Prince: Molière, Voltaire, Malraux, Sollers, etc...
Autant dire que c'est sans doute moins la littérature et la
poésie qui l'intéressent, que la suprême
consécration du Magistère. A travers ses engagements
successifs -- parfois sympathiques, nous l'avons dit -- demeure en
arrière-plan la figure, convenant si bien à ces
gazettes institutionnelles où il se répand, du
Moraliste, de l'Idéologue, du Directeur de conscience avide du
pouvoir absolu de façonner les âmes et d'arbitrer les
élégances. Cette figure-là de l'écrivain
a besoin du pouvoir. Quitte à se mettre au service d'un
candidat pas vraiment Candide...
© janvier 1995
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Dossier Philippe Sollers
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