Alain Mafart

Il y a près de quatorze ans, le 21 juin 1985, il s'envolait à l'autre bout du monde, sous le pseudonyme d'Alain Turenge. Sa mission: saboter le Rainbow Warrior, navire des écologistes de Greenpeace, opposants déterminés aux tests nucléaires français dans le Pacifique. Avril 1999, Alain Mafart s'apprête à quitter Paris pour exercer son nouveau métier, celui de photographe animalier. Il vient de rompre le silence en livrant son point de vue sur l'affaire Greenpeace dans Carnets secrets d'un nageur de combat. Entre ces deux dates, une opération montée trop vite, la mort d'un homme lors du naufrage du navire de Greenpeace dans le port d'Auckland le 10 juillet 1985, l'arrestation et la condamnation à dix ans de prison de deux agents secrets français et une affaire d'Etat au coeur d'un gouvernement socialiste. Alain Mafart raconte en détail le montage et le déroulement de l'opération qui devait aboutir deux jours plus tard à son arrestation et à celle de Dominique Prieur, devenue pour les besoins de l'opération son épouse Sophie Turenge Dominique Prieur, toujours dans l'armée, avait donné son témoignage sur cette affaire dans Agent secret, publié en 1995. Après avoir quitté l'armée il y a quatre ans avec le grade de colonel, Alain Mafart a décidé de s'affranchir du silence, "règle du jeu intangible" dans les services secrets. Cette affaire, écrit-il dans son livre, ayant été "décortiquée par des centaines de journalistes, jugée par des magistrats, analysée par des politiques, négociée par des diplomates", l'autorise à "s'exprimer à son tour". Le ton de son livre, serein et libre, ne laisse percer aucune amertume "car ce n'est pas mon truc", explique-t-il. Chemise bariolée, pantalon de toile et chaussures de bateau, Alain Mafart semble à des années-lumière du soldat d'élite, parachutiste et nageur de combat, recruté par le service Action, bras armé de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, services d'espionnage). Son livre apporte une série de confirmations sur l'affaire: la DGSE qui monte trop vite, sur l'ordre du ministre de la Défense d'alors Charles Hernu, une opération complexe très loin de ses bases en s'affranchissant des procédures; la présence d'une troisième équipe (deux nageurs et leur officier traitant) pour poser les charges sous le Rainbow Warrior; le grain de sable (le sens de l'observation d'un vigile du port d'Auckland) qui aboutira à l'interpellation du couple Turenge. Ces "carnets secrets" révèlent par ailleurs les modes de recrutement, d'entraînement et d'opérations du service Action. Adversaire sans état d'âme de Greenpeace, Alain Mafart confie pourtant que la mort du photographe Fernando Pereira, malgré les précautions prises lors du sabotage, "avait fait entrer l'opération dans un cadre dramatique". Amoureux de la nature sauvage, il fait partager au lecteur ses émotions au contact des baleines au large du Mexique ou son séjour chez les Inuit dans des pages que ne renierait pas un écologiste convaincu. "A 48 ans, je tourne la page et je veux retourner à l'anonymat pour vivre une autre vie", assure Alain Mafart avant de partir "loin vers le Sud".

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, jeudi 01 avril 1999. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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