Jean Moulin

Jean Moulin

René Hardy n'a pas "trahi la réunion de Caluire" et Jean Moulin "est tombé accidentellement, moins victime de la trahison que des circonstances" dans lesquelles sont impliqués les services secrets américains, affirme l'historien Jacques Baynac dans Les secrets de l'affaire Jean Moulin. Fils de résistants, Jacques Baynac cite Talleyrand ("La trahison est une affaire de date") en exergue de sa longue enquête, conduite à partir des archives privées et publiques américaines, britanniques, françaises (notamment de la DST), hongroises, suisses. "Entre le niveau mondial, où fait rage le conflit entre l'Axe et les Alliés, et le niveau individuel, où s'affrontent les caractères, s'étagent autour de cette énigme une quinzaine de conflits interactifs", dit Baynac. "C'est une interprétation fondatrice de la mémoire française qui est en question dans cette affaire", souligne-t-il, évoquant notamment le conflit d'alors entre Charles de Gaulle et Jean Moulin, entre la résistance extérieure et celle de l'intérieur. Selon la version officielle de la rafle de Caluire, qui vit en juin 1943 l'arrestation de Jean Moulin, Klaus Barbie aurait connu l'adresse de la réunion vers 14H50 le 21 juin, grâce à la filature d'un Hardy consentant. "Or, Barbie connaissait l'adresse avant 14H00. Les abords de la réunion étaient surveillés depuis le matin. Et nul n'a jamais pu expliquer pourquoi Barbie a surgi aussitôt après l'arrivée de Jean Moulin qui avait une demi-heure de retard, ce que personne ne pouvait prévoir. Barbie est arrivé à point nommé parce que Moulin était filé", assure-t-il, estimant que la fuite de Hardy n'était pas une mise en scène. L'arrestation de Jean Moulin a provoqué des remous dans l'OSS (Office of Strategic Service), les services secrets américains. Frederic Brown, un agent porteur en juin 43 d'une offre d'aide à la résistance intérieure, a été écarté. Arthur Roseborough, chef de l'OSS-Alger, qui avait chargé Brown de la mission, a été immédiatement limogé. Le 2 août 43, Donovan, chef de l'OSS, écrit à Passy, chef du service secret gaulliste: "cela n'a pas été la faute des nôtres, ou n'a pas été du à des circonstances sous notre contrôle", selon l'ouvrage. "Pour cause de guerre froide et pendant cinquante ans, on a dissimulé la réalité et chargé un Hardy, empêtré dans ses mensonges obligés, tandis que le bourreau nazi Barbie était protégé par les Etats-Unis, peu soucieux de voir révélé leur rôle dans l'arrestation de Jean Moulin", conclut-il.

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, vendredi 20 novembre 1998. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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