République des Lettres

Robert Pinget

Décès de Robert Pinget

Il était l'un des plus grands et des plus secrets. Robert Pinget, décédé le 25 août à l'âge de 78 ans, communément classé dans le Nouveau roman, avait créé dans ses nombreux romans et pièces de théâtre, un univers singulier, fondé sur le dérisoire et la dérision. Refusant toute concession à la mode et aux médias, excessivement discret, Robert Pinget s'était distingué de "l'école du regard" caractéristique du Nouveau roman en créant l'expression "l'école de l'oreille". Son oeuvre avec notamment Graal Flibuste, L'Inquisitoire, Quelqu'un ou L'Apocryphe, possédait un ton inclassable. Elle était souvent une variation à partir d'un thème obsédant et parfois faite d'un seul propos toujours identique et cependant différent. Ce goût pour les thèmes sans cesse repris différemment, il l'avait trouvé, disait-il, chez Jean-Sébastien Bach. Ses personnages s'appelaient Mlle Lorpailleur, Mahu, Architruc, Monsieur Songe, Sosie, formant une dérisoire galerie de portraits. Mêlant imaginaire et quotidien, poétique et dérisoire, celui qui disait: Je n'aime pas les histoires crée un univers fait d'humour et de cruauté, où la seule réalité est fondée sur les mots. "En dehors de ce qui est écrit c'est la mort", affirme le narrateur du Fiston (1959). Au théâtre, ses pièces comme Lettre morte, La Manivelle, Architruc, L'Hypothèse, donnent corps à cet univers. Dans Passacaille, cette première phrase éclairante: "le calme, le gris. De remous aucun. Quelque chose doit être cassé dans la mécanique, mais rien ne transparait. La pendule est sur la cheminée, les aiguilles marquent l'heure". Une phrase en leitmotiv: Tourner, retourner, revenir".
Voix douce contrastant avec un visage travaillé au burin, Pinget disait de lui-même: "Je n'ai absolument rien à dire. Toute ma vie a passé dans mes livres". Né à Genève le 19 juillet 1919, Robert Pinget avait cependant accepté de rédiger pour le Dictionnaire de Jérôme Garcin sa notice biographique, lapidaire, réduite à l'essentiel: "Enfance magnifique en famille. Etudes classiques au collège, puis études de droit jusqu'au brevet d'avocat. Mobilisé en 39-45. Installé à Paris en 1946. Y travaille d'abord la peinture, puis reprend définitivement la littérature. Sa première publication date de 1951, avec ses nouvelles Entre Fantoine et Agapa. Pour évoquer ses nombreux romans, pièces de théâtre et de radio Pinget ajoute laconiquement la liste exhaustive de la page 4 du roman L'Ennemi (1987), publié chez Minuit comme tous ses autres livres. C'est avec Graal flibuste en 1956 qu'il rejoint les éditions de Minuit où il rencontre Alain Robbe-Grillet, Samuel Beckett et Claude Simon. Le voilà classé nouveau romancier. Cette notice autobiographique nous apprenait également qu'en 1966, tout en gardant sa nationalité genevoise, (il) avait repris la nationalité française de son grand-père maternel et de son arrière-grand-père paternel. Son audience restait confidentielle, malgré le Prix des critiques en 1963 pour L'Inquisitoire, interrogatoire serré anonyme, le Femina en 1965 pour Quelqu'un, racontant la lente décomposition d'une pension de famille, malgré l'hommage du Festival d'Avignon avec cinq pièces et le Grand prix national des Lettres, en 1987. Ses livres deviennent de plus en plus minces: 60 ou 80 pages. Pinget vivait en solitaire, en Touraine. Samuel Beckett disait de lui: "Pinget, c'est de l'orfèvrerie".

La République des Lettres, lundi 1 septembre 1997

 

 

 

 

 

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