Ken Saro-Wiwa

Biographie Thomas De Quincey
Thomas De Quincey
De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts

Éditions de La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0195-4
Prix : 5 euros
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Le 21 juin 1993 à trois heures de l'après-midi, le Président de l'Association des Ecrivains nigérians, Ken Saro-Wiwa, était arrêté à Port Harcourt et détenu au secret. Il a été mis à mort le 10 novembre après un procès inique. Il s'attendait depuis longtemps à une telle action contre lui. Il avait aussi des doutes depuis longtemps sur la valeur du statut d'écrivain dans un contexte politique et social aussi critique que celui du Nigéria. Au cours des deux dernières années, il s'était consacré à promouvoir les intérêts du peuple ogoni -- le groupe ethnique dont il fait partie -- dont le territoire, situé dans le delta du Niger, a été endommagé écologiquement par l'extraction du pétrole sans aucunement bénéficier de ces immenses revenus. Il avait organisé une manifestation pacifique de 300.000 personnes en Ogoniland (60 % de la population) et était parvenu à porter le cas devant l'Organisation des Nations Unies. Il était également le fondateur et le Président de l'Organisation Africaine des Droits des Minorités Ethniques. Auparavant, son passeport lui avait été confisqué à l'aéroport de Lagos alors qu'il s'apprêtait à prendre un avion pour assister à la conférence des Nations Unies sur les Droits de l'Homme à Vienne.

Né en 1941, il avait fréquenté le Collège du Gouvernement Umaiha, l'école dont de nombreux écrivains nigérians - Chinua Achebe, Elechi Amadi, Christopher Okibo, entre autres - sont diplômés. Il y avait conçu une profonde admiration pour le système éducatif anglais ainsi qu'un amour de la langue anglaise. Après l'Université d'Ibadan, il devint administrateur de Bonny Island au nom du Gouvernement fédéral pendant la guerre civile. Il s'était opposé à la sécession du Biafra, parce qu'il considérait qu'un Etat "Ibo" était une plus grande menace pour la sécurité et le bien-être de ses minorités ethniques que le cadre d'un Etat fédéral nigérian. Une fois la guerre finie, Saro-Wiwa a été confronté au problème de gagner sa vie et d'éduquer ses enfants, et il a tenu avec succès un commerce d'épicerie. Au début des années '70, la BBC World Service a commencé à diffuser certaines de ses histoires et pièces de théâtre. En 1986, il avait délaissé son affaire et avait publié depuis lors plus de vingt livres en s'illustrant dans presque tous les genres littéraires.

Son premier roman, Sozaboy, retrace la tragédie et le gâchis inutile de la guerre civile. Raconté à travers la naïveté d'un garçon de village, le récit est écrit dans la langue incorrecte formellement mais extrêmement expressive qu'un tel garçon aurait effectivement pu utiliser. Sozaboy (Garçon-soldat) s'engage dans l'armée parce que sa femme veut faire de lui un vrai homme, ce qui suppose de revêtir le splendide uniforme. Il découvre la réalité de la guerre et se retrouve en train de combattre des deux côtés, sans jamais connaître les raisons réelles de leur affrontement. Sa femme et sa mère sont tuées, et il résume ainsi son expérience: "Et alors que je partais, je pensais combien la guerre avait détruit ma ville de Dukana, rendu invalides de nombreuses personnes, tué de nombreuses autres, tué ma mère et ma femme, Agnès, ma jeune et belle femme... ".

Saro-Wiwa avait réussi le tour de force d'écrire en anglais vernaculaire du Nigéria d'une façon accessible pour les lecteurs non-nigérians, et à entrer sans condescendance dans l'univers d'un enfant inculte.

En plus d'autres romans, histoires courtes et mémoires, il avait créé et financé la série télévisée la plus populaire du Nigéria, Basi and Company, écrivant les scripts de cinquante épisodes. Basi est un propre à rien, qui est prêt à tout faire pour gagner de l'argent excepté travailler et qui est toujours dans l'incapacité de payer son loyer à son propriétaire, Madame la Madame. Sa devise dans la vie, inscrite sur son T.Shirt, est: " Pour devenir millionnaire, il suffit de penser comme un millionnaire." Inutile de dire qu'il ne parvient qu'à vivre au-dessus de ses moyens. Bien que très amusant, le feuilleton est une vraie satire, et était perçu comme telle par des millions de Nigérians, sur la mentalité "nouveau riche" qui prévaut dans le pays depuis que les revenus pétroliers ont destabilisé l'économie.

Ceci illustre l'aptitude de Saro Wiwa à traiter les sujets les plus sérieux avec un humour que même ceux à qui s'adressaient ses blagues acérées ne pouvaient s'empêcher de rire. Il n'a fait aucun secret de son mépris pour le gouvernement militaire, pour sa corruption, son incompétence et ses cruautés périodiques.Il n'a pas non plus caché son septicisme à propos des élections dont le Président Babangida a annulé les résultats. Saro Wiwa ne s'était jamais lassé d'attirer l'attention sur le fait que les deux parties en lice pour les élections étaient la création arbitraire du Président, qui allait jusqu'à écrire lui-même les manifestes des candidats. C'est là un genre assez particulier de démocratie.

Saro Wiwa était un homme de petite taille mais il n'avait peur de rien et son rire était immense. Lorsqu'il riait, toute la pièce riait avec lui. Les Nigérians vont avoir besoin de tout son humour maintenant.

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, vendredi 01 décembre 1995. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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