Jules Roy

Jules Roy conforte dans le second tome de son journal, Les années cavalières, l'image du combattant anticonformiste, de l'écrivain exigeant qu'il est depuis des décennies. Le surnom de "Julius", adopté par ses amis, lui va comme un gant: on l'imagine patricien romain avec sa haute taille et ses cheveux blancs ou "centurion à l'air incommode, écoeuré par le système et les abus", selon Jean Lacouture. En 1997, est paru le premier tome de son Journal (Les années déchirement, 1925-1965). Le tome 3 devrait paraître prochainement. "On se venge sur moi d'être ce que je suis: un éternel bâtard. Bâtard, je scandalise", écrit cet enfant adultérin né voici 92 ans de l'amour d'une fille de gendarme et d'un instituteur.

Après sa femme Tania, François Mitterrand qu'il égratigne souvent, est le plus cité dans l'ouvrage. En 1981, sur la cérémonie du Panthéon, il écrit: "c'est le populo qui a gagné, mais c'est le populo qui en sera de sa poche". Le nouveau chef de l'Etat s'invite volontiers chez lui, l'entraîne rencontrer le romancier allemand Ernst Jünger afin d'écouter les deux anciens guerriers ennemis, devenus écrivains, confronter leurs visions du monde. Il pourrait appartenir à la Cour. Mais Jules Roy n'est pas dupe. A propos du mot de Louis XI ("Encore un petit crime seulement, ma bonne Vierge, seulement la mort de mon frère, et le royaume est sauvé"), il écrit: "Merveilleuse prière des rois, que les hommes d'Etat ont prise à leur compte puisqu'ils ne font que mentir et tromper, Mitterrand tout le premier". En mai 68, défendant les jeunes contre l'ordre établi, Jules Roy fustige de Gaulle et Malraux de n'avoir su "devancer la révolution culturelle". Favorable à un régime socialiste, il se décrit avec ironie, face à ses amis terrifiés, comme "l'homo sovieticus, un couteau entre les dents". Ancien officier de l'armée de l'air (1927-1953), Jules Roy n'est pas l'homme des demi-mesures. En 1946, il raconte dans La vallée heureuse (prix Renaudot) sa honte de bombarder Mannheim ou Essen, ce qui lui vaut quinze jours d'arrêts de rigueur. En 1960, avec La Guerre d'Algérie, il se met à dos ses frères "pieds-noirs" en se prononçant pour l'indépendance. Toujours iconoclaste, il critique le conservatisme de l'Académie française, ce "cimetière avec des tombeaux solennels où l'on enterre vivant". Pourtant, il s'y présente deux fois sans succès. Son orgueil en prend un coup quand il voit la facilité avec laquelle les "Immortels" vendent leurs livres. "Zola a-t-il jamais été reçu à l'Académie où il s'est présenté 22 fois ?" demande-t-il. Il voit s'éteindre ses amis, Maurice Clavel, Max-Pol Fouchet ou Jean-Louis Bory. Comme sa femme Tania, poète russe, il se sent vieillir: "ce sont Les chevaux du soleil qui nous ont usés, Tania et moi, et qui m'ont tué". Les six tomes de cette grande fresque algérienne, adaptée à la télévision, lui ont pris beaucoup de temps. "Chartres et Vézelay (où il vit) sont en France les deux seuls lieux que j'aime vraiment", dit-il, terminant son Journal sur un voyage au Liban, en 1985: "pays terrible où les gens ne pensent qu'à s'exterminer au nom de leur Dieu". Et sa propre foi ? "Je ne suis pas un bon chrétien mais l'apôtre Pierre l'était-il ?".

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, dimanche 10 janvier 1999. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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