Jean-Luc Nancy

Quoi de commun entre le texte d'accompagnement d'une installation vidéo de Soun-Gui Kim où des flux d'images commandés par les variations de trois indices boursiers étaient projetés sur des moniteurs de télévision, une intervention dans un colloque sur Jean-Paul Sartre et Georges Bataille et un article consacré à Martin Heidegger dans le Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale paru aux PUF en 1996 ?

Apparemment rien. Pourtant, à y regarder de près, ce recueil de textes et d'essais que nous propose les éditions Galilée, révèle une profonde et puissante identité. Notre monde, en ce qu'il est histoire et structure (des hommes, de leurs langages, de leurs techniques et de leur pensée) questionne le philosophe comme il ne l'avait encore jamais fait: aux limites de ce qu'il y a à réfléchir, aux bords même de la raison, à propos de ce qui lui échappe et la fonde.

Jean-Luc Nancy, loin de se soustraire à ces interrogations par les pirouettes auxquelles d'autres nous ont accoutumé, nous livre là, sous le titre de La pensée dérobée, un travail travaillant touffu et riche de son inachèvement. Une fois rien, c'est rien, mais trois fois rien, c'est déjà quelque chose.

Je me souviens de cette petite phrase que se plaisait à répéter une de mes psychanalystes amies. Ce rien de la pensée qui se dérobe à elle, et dont elle ne peut se saisir sans le faire disparaître, ce rien, ce non-savoir en-je est devenu l'enjeu essentiel du penser. Jean-Luc Nancy, relisant (Des latins "Legare" et "Relegare", nous avons hérité à la fois les verbes lire et relier, relire et lier) Jean-Jacques Rousseau, Baruch Spinoza, Emmanuel Kant, Friedrich Nietzsche, Martin Heidegger, les lisant et les traversant, nous invite, non plus d'abord à composer des formes, mais à toucher "des fonds, les rayer, les gratter, les pincer, les percer, aller ainsi au plus loin de l'accomplissement, dans les commencements, les états naissants, prés des énergies non liées, des tensions en déclenchement, dans les écarts et les secousses des origines ".

Une réflexion qu'il nous demande de mener ensemble, dans cet être-avec qui nous rive et nous libére, parce qu'ainsi, seulement ainsi, nous pouvons faire sens. Grâce à cet ensemble de textes qui, répondant à l'appel du sens, en répondent, nous entrons de plein pied dans ce qui constitue une des recherches philosophiques les plus passionnantes des prochaines années.

Copyright © Jérôme-Alexandre Nielsberg / republique-des-lettres.fr, Paris, jeudi 15 février 2001. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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