Patrick Hutchinson

Biographie Thomas De Quincey
Thomas De Quincey
De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts

Éditions de La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0195-4
Prix : 5 euros
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LE CANON D'ASTRAKHAN CAFÉ

Poème traduit du Persan

Pour X. et Mon Cousin

(Et avec Anouar Brahem)

Je te demande pardon

D'être un fou

D'être devenu fou

A cause de ta folie

De t'aimer plus que ma vie...

Je te demande pardon

De ne pouvoir pardonner

Ce que tu as fait à l'amour

De n'avoir su ignorer

De n'avoir pu oublier

Ni les regards ni les paroles ni les caresses

Ni les bontés trop vastes de nos nuits

Je te demande pardon

De ce qui est sans pardon possible

M'être montré tel que je suis

Dans ma faiblesse ma pauvreté

Mon inachèvement d'homme à peine né

Qui de sa fin s'approche déjà

(D'avoir été tout

Sauf menteur sauf trompeur sauf fanfaron

Sauf volage

Avec toi)

Je te demande pardon

De m'être éveillé entre tes bras

A tant d'horizons ensevelis

A tant d'envols brisés

A tant d'élans oubliés

De tendresse d'enfance assassinées

Niées trahies

De n'avoir su être

Ni distrait ni arrogant ni las

Je te demande pardon

D'un taux trop faible en inconstance

D'un déficit chronique d'indifférence

D'un manque profond de versatilité

De n 'avoir pu être

Ni faux ni violent ni bas

Je te demande pardon

De m'être éveillé entre tes bras

A tant d'horizons rêvés

A tant de forces qui sommeillaient

A tant de routes qui s'ouvraient

Par delà tes noirs cheveux emmêlés

Par delà nos membres démêlés

Par delà nos destins dénoués

Je te demande pardon

D'un défaut monstrueux de cynisme

D'un manquement grave à l'étiquette

De l'iconoclasme de bon aloi

D'une absence désolante de négativité

D'une entorse à la bienséante bienpensance

De la destructivité

A chaque fois que je pense à toi

Je te demande pardon

De n'avoir su

Te faire danser

Sur tous les airs les plus légers

Sur tous les airs les plus inspirés

Qui auraient pu t'enlever

Qui auraient pu te faire atteindre

A l'ivresse définitive

Qui auraient pu te faire oublier

Qui auraient pu t'enlever au monde

Je te demande pardon

De n'avoir pas été au rendez-vous

De toutes tes ivresses

De tous tes caprices tes goûts délicats

De tes désirs les plus fous

De l'obsession magnifique que tu me vouais

Que ton obsession soit devenue mienne

Que mon obsession de toi

Dure encore et encore

Alors que la tienne s'est envolée

Je te demande pardon

D'avoir eu le souffle coupé

A chaque fois que je t'ai prise

Dans mes bras

Comme par une pluie d'étoiles d'été

Comme par une chute de mondes oubliés

Comme par une avalanche de silence

Emporté

Dès que l'on s'est touché

Pour la première fois

Je te demande pardon

D'avoir vu ta beauté

D'avoir aimé la fragilité

De tant d'imperfection parfaite

De ne rien avoir trouvé à redire

En me réveillant à tes côtés

Je te demande pardon

D'avoir su si vite

D'un savoir si certain

Que je désirais te posséder

Pour mieux me déposséder de tout

En toi

Et de moi-même en premier

Je te demande pardon

De t'avoir fait l'amour

Si tôt et si fort

En présumant aveuglement

De notre plus absolue

Notre plus exacte proximité

Comme si nous nous connaissions

- Ce que je crois peut-être vrai ! -

Depuis mille vies depuis toujours déjà

Je te demande pardon

De m'être entre tes bras éveillé

A tant d'horizons de beauté

De possible de puissance de nouveauté

De pensée de création inouïes

D'avoir pénétré en toi

Comme l'on prie l'on communie

Je te demande pardon

De m'être dit ton derviche ton vassal

De t'avoir chantée

En dame de valeur

Comme si la beauté du monde

Etait encore

Comme si la noblesse des hauts récits

Existait encore quelque part

A redéployer

Comme si dans le monde d'aujourd'hui

La poésie l'amour

Pouvaient exister

Je te demande pardon

De ne m'être pas résigné

A ce que la norme soit normée

A ce que le devenir soit devenu

D'avoir enfreint les règles

Les plus élémentaires

Des conjugaisons admises par l'usage

Des concordances des temps

Je te demande pardon

D'avoir aligné ma conduite de vie

Sur la syntaxe de tes hanches

De n'avoir eu d'autre souci

Que la doctrine de tes lèvres

Souveraines et sages

De m'être insurgé

Dès notre premier baiser

Contre l'emploi du conditionnel passé

Je te demande pardon

De n'avoir pas su résister

A l'invitation

Infiniment éloignée

Et en même temps infiniment proche

Du premier regard d'amour

Que tu m'as distraitement lancé

De n'avoir pas su dire non

A l'appel vers l'infini

Que déclinaient tes immenses yeux bleus

Je te demande pardon

De ne pouvoir te pardonner

D'avoir sans raison

Ni faute avérée de ma part

(Autre que de t'avoir à mon tour

Trop vite et trop fort aimée)

Désavoué

Le gage d'amour

Que tu m'as pourtant donné

Je te demande pardon

D'avoir de la peine

Pour le mal que tu m'as fait

Pour le bien que tu m'as fait

Et puis trop vite retiré

Sans logique ni explication

Postulat ni argumentation

Comme dans un monde sans responsabilité

Où l'argent (qui est un nom de la lâcheté)

Règne en maître

On congédie les employés

Sur le moindre caprice du marché

Je te demande pardon

D'être un fou

D'être devenu fou de toi

A cause de ta folie

De t'aimer plus que ma vie...

Copyright © Patrick Hutchinson / republique-des-lettres.fr, Paris, dimanche 15 avril 2001. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
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