Gore Vidal

Institution irrévérencieuse de la littérature américaine mais peu connu du grand public français, Gore Vidal "attend la fin du monde" en Italie et continue, à 74 ans, de "faire ce qui lui plaît" comme écrire un roman délirant ou critiquer la politique du président Clinton. Il a délaissé sa maison à flanc de falaise de Ravello, près de Naples, où il vit une bonne partie de l'année pour promouvoir deux livres à Paris: un inédit, La ménagerie des hommes illustres, et une réédition, Un garçon près de la rivière. Lors de sa parution, en 1948, ce calme plaidoyer homosexuel avait choqué la critique américaine. Dans La ménagerie des hommes illustres, des statues de cire représentant les grands personnages de l'histoire s'animent et initient T., un génie mathématique de 13 ans, aux mystères du sexe et du temps... Moins connu en France que, par exemple, son plus "féroce ennemi" Norman Mailer, Gore Vidal a un goût de la provocation, une culture et une puissance de travail hors du commun. Il a écrit plus de 20 romans, surtout historiques, (Burr, Lincoln, 1976, Duluth, Myra Breckinridge, etc), une dizaine de volumes d'essais, cinq pièces de théâtre et des scénarios de film (Soudain l'été dernier, Ben-Hur, etc). Il a été candidat démocrate au Congrès sous le slogan "You'll get more with Gore". Mais il admet qu'il ne savait pas exactement ce que les électeurs "auraient eu en plus" s'il avait été élu. Avoir trop de cordes à son arc peut déconcerter: c'est ainsi qu'il explique en partie la relative désaffection du public français à son encontre. "En France, vous avez besoin de mettre les gens dans des catégories", dit-il, sirotant son whisky et jouant avec sa cravate imprimée de petits stylos. Il regrette aussi de "ne pas avoir eu, dans le passé, de bons éditeurs français". "Je fais tout ce qui m'amuse mais, dans tous mes livres, la voix reste la même", explique ce satiriste en ajoutant: "je n'ai pas l'intention de changer". "La France fut, après la guerre, le centre de la civilisation. J'y ai alors vécu une période extraordinaire en compagnie d'artistes comme Jean Cocteau, André Gide", dit Gore Vidal, qui vécut ensuite en Italie avec Tennessee Williams et eut Jack Kerouac comme amant. Par ses origines familiales, il appartient à la classe politique américaine qu'il connait intimement. Il est petit-fils de sénateur et cousin du vice-président actuel Al Gore. Quand sa mère épouse le beau-père de Jackie Kennedy, il devient l'ami intime du président et de sa famille. Il a pris parti contre la destitution de Bill Clinton car, selon lui, "le mensonge est l'essence de la politique" et il est absurde de juger un président pour avoir menti. Cette prise de position ne l'empêche pas de s'opposer au président sur sa politique extérieure. Hostile à toute intervention américaine à l'étranger, il regrette même la participation des Etats-Unis à la seconde guerre mondiale, une position qui a fait scandale. Cette conviction est héritée du traumatisme de jeunesse vécu par Gore Vidal à la mort de Jimmy Trimble, tué dans le Pacifique alors qu'il était dans les Marines. Cet amour de jeunesse a inspiré le personnage de T. dans La ménagerie et le héros d'Un garçon près de la rivière. Une biographie sur Vidal, qui a nécessité six ans de travail, devrait paraître en octobre aux Etats-Unis. "L'auteur, Fred Kaplan, écrit: "En vous, se croisent deux tendances, celle de Mark Twain et celle de Henry James. C'est formidable d'entendre ça, non?", dit Gore Vidal dans un immense éclat de rire.

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, lundi 15 mars 1999. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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