République des Lettres

Rafaël Alberti

Le poète Rafaël Alberti était à 96 ans le dernier représentant de la génération de '27

Le poète Rafaël Alberti, mort dans la nuit du 26 au 27 octobre, était à 96 ans le dernier représentant de la génération de 27, l'un des courants les plus importants de la littérature espagnole, et aussi un des témoins majeurs de l'histoire de l'Espagne au 20ème siècle. Il est l'auteur d'une oeuvre où la mer, le folklore andalou et le langage de la rue jouent un rôle essentiel. Il a été l'ami de Federico Garcia Lorca, Pablo Picasso, Luis Bunuel et Salvador Dali. Militant du Parti communiste espagnol (PCE) dès 1933, Alberti n'a jamais renié ses convictions politiques qui l'ont contraint à l'exil de la fin de la Guerre civile espagnole (1936-39) à la mort de Franco en 1975. "Je ne me repens de rien. Je ne suis pas un ex-communiste", avait-il dit lors de ses 90 ans. Aux premières élections législatives de l'après-franquisme en 1977, il avait été élu député sur les listes du PCE mais avait démissionné quelques mois plus tard.
Né le 16 décembre 1902 dans la ville côtière de Puerto de Santa Maria, près de Cadix en Andalousie, il part très jeune avec sa famille pour Madrid, mais n'oubliera jamais ses origines andalouses. Marié à l'écrivain Maria Teresa Leon, décédée en 1988, il se remarie en 1990 avec Maria Asuncion Mateo, de 44 ans plus jeune que lui et exégète de l'oeuvre du poète. Pendant la guerre civile espagnole (1936-39), il combat sous les couleurs républicaines. A la fin du conflit remporté par les troupes du général Francisco Franco, il s'exile en France, avant de se rendre en 1940 en Argentine. Il reste jusqu'en 1963 en Amérique Latine puis il s'installe à Rome jusqu'à son retour en Espagne en 1977. Durant la guerre civile, Alberti est secrétaire de l'Alliance des intellectuels anti-fascistes et rencontre à Madrid le photographe Robert Capa, Ernest Hemingway, Elsa Triolet, Louis Aragon et le chilien Pablo Neruda. A la même époque, il entre dans la légende en sauvant d'un bombardement les quatre tableaux les plus importants du Musée madrilène du Prado, dont Les Ménines de Velazquez. A son retour d'exil en 1977, devant une foule immense venue l'accueillir à l'aéroport de Madrid, il s'exclame: "J'ai quitté l'Espagne, le poing levé, et je reviens la main tendue en signe de paix et de réconciliation avec tous les Espagnols". Il s'était fait connaître dès 1925 avec le recueil Marinero en tierra (Marin à terre), un véritable chant d'amour à la mer, pour lequel il avait reçu le Prix national de littérature. Juan Ramon Jimenez, prix Nobel espagnol de littérature, avait décrit cette oeuvre comme "une mer de beauté d'une extraordinaire variété d'odeurs, d'essences et de musiques". "C'est une poésie nouvelle, d'une grande fraîcheur mais aussi d'une grande maturité", avait-il ajouté. Ses principaux recueils - Sobre los angeles (1929), A la pintura (1948) ou Roma peligro para caminantes (1968) - sont devenus des classiques, et ses poèmes ont été chantés par de nombreux artistes. Alberti est également auteur de pièces de théâtre - El hombre deshabitado (L'homme inhabité, 1930), El adefesio (1944) ou Noche de guerra en el Museo del Prado (1954) - et de Mémoires - La arboleda perdida (1959 / 1987) . Portant souvent une chemise à fleurs, même pendant les cérémonies les plus solennelles comme la remise du Prix Cervantes de Littérature en 1983, il a toujours fait preuve d'une très grande vitalité. Pour beaucoup, c'était déjà un classique avant sa mort.
Malgré sa volonté, qui avait réclamé "la plus grande simplicité et la plus stricte intimité" pour ses obsèques, une cérémonie officielle a été organisée dans sa ville natale du Puerto de Santa Maria où il est mort. Le monastère de la Victoria a accueilli un hommage au grand poète andalou, en accord, ont souligné les édiles, avec sa jeune veuve, Maria Asuncion Mateo, qui n'y assistera toutefois pas. Maria Asuncion Mateo a préféré rester dans la maison familiale où quelques rares proches ont continué vendredi de venir l'entourer. En revanche, la fille du poète, Aitana Alberti, qui vit depuis plusieurs années à Cuba, a participé à l'hommage rendu autour de l'urne funéraire d'Alberti dans le monastère médiéval, à l'endroit même où il reçut en 1992 le titre de maire honoraire de la ville. Un autre grand hommage public sera organisé par la mairie et plusieurs associations culturelles et sociales le 16 décembre, le jour où Alberti devait célébrer son 97ème anniversaire. A la demande de la veuve, exprimant le souhait d'Alberti, des oeuvres du peintre-poète seront également exposées au grand musée madrilène du Prado. "Son souhait le plus cher ces dernières années, c'est qu'une de ses oeuvres dorme une nuit au Prado", a expliqué Maria Asuncion Mateo au ministre de la Culture Mariano Rajoy, venu lui présenter ses condoléances. "Ce sera plus d'une oeuvre et pour plus d'une nuit", lui a répondu le ministre. Les habitants du Puerto ont de leur côté continué de défiler à la mairie pour inscrire sur un livre d'honneur leur derniers adieux au poète. Sur la plaza del Polverista, devant la mairie, une statue d'Alberti est également noyée sous les gerbes de fleurs et les lettres d'hommage. Certains admirateurs du poète ont fait les trente kilomètres qui séparent El Puerto du grand cimetière régional de Chiclana de la Frontera, de l'autre côté de la baie de Cadix, où reposait la dépouille d'Alberti avant son incinération. Après une cérémonie très brève et très simple, l'urne a été transportée auprès de la veuve, puis au monastère de la Victoria où l'hommage du public devait lui être rendu, sous forme de lectures de poèmes et brefs discours. Ensuite, les voeux du poète seront accomplis. Il avait dressé une courte liste de personnes qu'il voulaient voir prendre la mer avec l'urne et disperser ses cendres dans les eaux du golfe de Cadix, qui fut sa première source d'inspiration, avant son départ pour Madrid en 1917, puis pour quarante ans d'exil au début de la guerre civile espagnole en 1936. "Ils emporteront mes cendres dans une coupe en bois et les disperseront au milieu du golfe, si possible un jour calme, sans vent d'Est. On naviguera sur moi. Il se peut alors qu'une cendre vienne se prendre dans la belle chevelure de quelque baigneuse", avait-il écrit.

La République des Lettres, vendredi 29 octobre 1999

 

 

 

 

 

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