République des Lettres

Bibliothèques d'Europe contre Google

Les Bibliothèques Nationales d'Europe s'unissent contre le projet de numérisation entrepris par Google

Dix-neuf Bibliothèques Nationales de pays européens (1) ont signé mercredi 27 avril un manifeste pour "appuyer une initiative commune des dirigeants de l'Europe visant à une numérisation large et organisée des oeuvres appartenant au patrimoine de notre continent". Cette mobilisation fait suite à l'appel lancé par Jean-Noël Jeanneney qui mène campagne afin que l'Europe numérise elle-même le patrimoine de ses bibliothèques. Effrayé par le projet de Google qui a entrepris début 2005 de scanner et mettre gratuitement en ligne le fonds de quatre prestigieuses bibliothèques américaines et anglaises, soit environ 15 millions de livres, le président de la Bibliothèque Nationale de France ne cesse en effet d'appeler depuis plusieurs semaines les dirigeants politiques et culturels européens à lancer une contre-offensive contre les projets numériques du célèbre moteur leader de la recherche sur internet. Craignant l'hégémonie de Google et redoutant la "domination", la "marchandisation" et l'"homogénéisation" forcées de la culture et des savoirs qui seraient imposées au reste du monde par l'Amérique, Jean-Noël Jeanneney prône infatigablement à coup d'articles et même de livre (Quand Google défie l'Europe, plaidoyer pour un sursaut, éditions Mille et une nuits) l'urgence d'une numérisation "à l'européenne" du fonds des grandes Bibliothèques d'Europe.
Acquis à la cause depuis peu, Jacques Chirac va faire prochainement des propositions à ses partenaires européens pour accélérer le projet. Le Président de la République abordera notamment la question dans son discours inaugural des Rencontres pour l'Europe de la Culture qui rassembleront à Paris, les 2 et 3 mai, les ministres de la Culture de l'Union Européenne. "Une telle entreprise suppose au niveau de l'Union une étroite concertation des ambitions nationales pour définir le choix des oeuvres. Elle appelle aussi le soutien des autorités communautaires pour développer un programme énergique de recherche dans le domaine des techniques qui serviront ce dessein", souligne le texte du manifeste.
Cette initiative relève évidemment de belles intentions mais appelle aussi quelques remarques (outre que la France se réveille bien tard en matière de numérisation de livres, d'indexation ou de diffusion culturelle sur l'internet, elle qui a plutôt jusqu'à présent ralenti tout projet quelque peu novateur ou ambitieux et n'a jamais par exemple soutenu une publication culturelle en ligne, contrairement aux milliers de revues sur papier qu'elle subventionne régulièrement). D'une part Google prévoit de boucler son projet de numérisation en six années et, au vu de la lenteur des nombreuses administrations et institutions tant nationales qu'européennes impliquées, il y a fort à craindre qu'il sera terminé avant que l'Europe se mette au travail collectivement. D'autre part, il faudra débloquer des budgets de financement au moins équivalents à ceux de Google, soit environ 150 millions d'euros. Enfin, la forte réaction contre Google et l'éventuelle future "américanisation" des esprits qu'on lui attribue prête beaucoup à sourire lorsqu'on voit par ailleurs les impensables soutiens et partenariats développés entre nombre d'entreprises publiques françaises -- administrations, établissements scolaires, centres et instituts de recherche scientifiques ou culturels, etc... --, avec des multinationales américaines telles que Microsoft, pourtant infiniment plus prédatrices en la matière. Les conseillers de l'Elysée sembleraient même envisager de confier les futurs travaux de numérisation des livres à l'éditeur de Windows, ce qui laisse pantois. Avant de combattre Google à grands effets de manche et afin d'être plus crédibles dans leur défense de la culture européenne sur internet, Jean-Noël Jeanneney et Jacques Chirac devrait donc peut-être d'abord se pencher un peu plus sur les logiciels et autres "produits culturels" diffusés à grande échelle par leur ami Bill Gates avec le soutien actif de la France.

1) Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Slovénie, Slovaquie et Suède. L'Angleterre, le Portugal, Malte et Chypre ont donné leur accord verbal ou apportent un soutien explicite à l'initiative sans toutefois avoir encore signé officiellement la déclaration d'intention à la date d'aujourd'hui.

La République des Lettres, jeudi 28 avril 2005

 

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