Philippe Forest

Philippe Forest

Pauline, la petite fille âgée de quatre ans de Philippe Forest a été emportée par un cancer en 1996 et cette tragique épreuve hante depuis cette année-là le travail de l'écrivain. La douleur, le désespoir, la tristesse, la solitude, la lutte, le deuil, la survie, la vérité, le langage, le réel, l'écriture, la littérature,... L'auteur sait par "expérience" (au sens de Georges Bataille) de quoi il parle et il sait comment les communiquer dans de remarquables récits personnels d'une grande élévation qu'il recouvre pudiquement et pour faire simple du mot de "roman". Plus précisément selon ses théories "d'autofiction", de "roman du Je", le Moi autobiographique de l'auteur qui raconte son existence n'existant jamais que comme fiction. Selon Philippe Forest, toute vie est un roman et par conséquent seul le roman sait dire la vie. Tel fut le cas pour L'Enfant éternel et pour Toute la nuit, "romans" donc écrits lors de ses années d'exil endeuillé au Japon.

Aujourd'hui, huit ans après sa profonde blessure personnelle, Philippe Forest porte encore un roman comme un rêve d'enfant toujours renouvellé à travers l'écriture la plus exigeante qui permettrait d'atteindre l'indicible vérité du réel et de vaincre la mort. Entre Tokyo, Kyoto et Kobe, à travers le portrait de trois artistes japonais (le poète Kobayashi Issa, le romancier Natsume Sôseki et le photographe Yosuke Yamahata), son roman Sarinagara entraîne le lecteur dans l'histoire et la littérature japonaises à la recherche du sens de ce rêve d'enfant. Au Japon "sarinagara" signifie "cependant" ou "pourtant", et le titre du livre s'inspire d'un haïku de Kobayashi Issa (1763-1827) qui vécût lui aussi la perte d'un enfant et écrivit sa vision du néant dans un court poème qu'il termina par ce dernier mot énigmatique suspendu dans le vide: "sarinagara".

        Oui, tout est néant

        passage, vapeur, silence

        cependant

Voilà, tout est dit en un mot. Cette littérature zen du bout du monde qui influença si fortement les travaux de recherche de l'auteur est le meilleur vecteur pour exprimer tant l'infini dénuement de la mort que le désir infini de la vie. Le lecteur rêveur pourra en saisir toute la délicatesse et la fulgurance dans ce magnifique roman qui est tout aussi bien poème, essai et récit intime d'un chemin de vie.

Philippe Forest est né en 1962. Docteur ès Lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, il a enseigné la littérature française à Cambridge, a vécu et travaillé au Japon et est actuellement professeur de Littérature comparée à l'université de Nantes. Il collabore à plusieurs revues, en particulier à Art Press, en tant que Critique littéraire, d'Art et de Cinéma. Il a publié deux romans, L'Enfant éternel (prix Femina du Premier Roman, 1997) et Toute la nuit (1999), ainsi que plusieurs essais sur la littérature contemporaine, notamment Histoire de Tel Quel (1998), Philippe Sollers (1999), Le roman, le Je (2001), Le roman, le réel (1999), Oé Kenzaburô (2001), Pour un autre roman japonais (avec Cécile Sakaï, 2004) et Raymond Hains, uns romans (2004).

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Philippe Forest, Sarinagara (Éditions Gallimard).

Copyright © Mélanie Wolfe / republique-des-lettres.fr, Paris, mardi 09 novembre 2004. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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