République des Lettres

Irène Némirovsky

Irène Némirovsky est lauréate à titre posthume du Prix Renaudot 2004 pour Suite française publié aux éditions Denoël, un mauvais roman écrit en 1940, resté inédit à ce jour

L'auteur, d'origine juive ukrainienne, est décédée en 1942 dans le camp de concentration nazi d'Auschwitz. Avant d'être déportée elle avait publié une quinzaine de livres, dont notamment en 1929 David Golder qui connût un certain succès. C'est sa fille Denise Epstein qui a conservé le manuscrit de Suite française et a décidé de le faire publier récemment en le confiant à Myriam Anissimov et Olivier Rubinstein des éditions Denoël. Sa soeur Elisabeth Gille, qui était elle-même éditrice chez Denoël avant son décès des suites d'un cancer, a déjà publié en 1993 une biographie de sa mère intitulée Le Mirador.
Sans grand intérêt, ni littéraire, ni philosophique, ni historique, Suite française raconte la débacle de la France en juin '40 avec son cortège de bassesses humaines. Il est curieux de constater l'engouement "critique" dont a bénéficié ce vieux roman désuet, certains n'hésitant pas à le qualifier de meilleur livre de l'année. D'intenses pressions ont même été exercées, avec une lourdeur comme en en rencontre assez peu souvent dans les milieux intellectuels parisiens pourtant avertis, pour que le livre décroche le Prix Goncourt. C'est Laurent Gaudé qui a obtenu ce dernier mais le jury Renaudot, qui est censé corriger les éventuels mauvais choix et injustices du Goncourt, n'a pu éviter de récompenser ce roman d'un autre âge, non terminé, d'un auteur mort depuis plus de 60 ans. Effet sans doute du pouvoir d'une partie des milieux professionnels et d'une France fanatique des commérations et du devoir de mémoire politiquement correct.
Le secrétaire général du Prix Renaudot, André Brincourt, qui a voté contre Suite française, a toutefois fait remarquer que ce choix final au second tour les obligeait à faire une entorse aux statuts et que les prix littéraires étaits normalement faits pour promouvoir des oeuvres d'écrivains vivants. "On n'est pas là pour rattraper les injustices des morts. Pourquoi pas l'an prochain couronner un inédit d'Alexandre Dumas ?" a-t-il déclaré. Un autre juré, Patrick Besson, a également ajouté qu'il "ne faudrait pas que ça devienne une habitude".Suite française s'est déjà vendu en librairie à plus de 40.000 exemplaires depuis sa publication début octobre et les droits de traduction ont été l'une des bonnes affaires de Denoël à la dernière Foire du Livre de Francfort tant de nombreux pays étrangers se les ont arrachés. Bref, le Renaudot 2004 est sans doute un bon coup pour quelques marchands de livres qui feignent "la surprise", mais ce n'est pas vraiment une victoire pour la littérature française du XXIème siècle.

La République des Lettres, lundi 8 novembre 2004

 

 

 

 

 

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