La République des Lettres

Abdelkébir Khatibi

Abdelkébir Khatibi
Triptyque de Rabat
La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0122-0
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
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Jean-Pierre Jeunet

Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet est un film français, comme on dit encore littérature française, pour signifier la suprématie de la patrie du roman en ce domaine, enfin... son ancienne suprématie car il est vrai que tant en matière de cinéma que de littérature, les dernières décennies ont pris quelques airs de petite débacle. Mais Jean-Pierre Jeunet, qui pouvait se permettre à peu près toutes les ambitions après le fabuleux destin de son précédent film déjà so français, Amélie Poulain aux vingt millions de spectateurs dans le monde, est parti en guerre comme en 14 et a réuni tous les ingrédients pour que l'on puisse de nouveau pousser un bel et fier Cocorico juste avant le 11 novembre: flopée d'acteurs stars, scénario travaillé, production de 45 millions d'euros, distribution dans le monde entier par la Warner américaine, rien ne manque à ce qui devrait faire remonter la France bleu blanc rouge des Arts et Lettres sur les premières marches du podium pour les futurs Oscars et accessoirement pour le jackpot des caisses enregistreuses sonnant comme à Hollywood.
L'histoire, d'après le roman publié en 1994 de Sébastien Japrisot -- pseudonyme de Jean-Baptiste Rossi (1931-2003) dont tous les livres, par ailleurs trés lus à l'étranger, ont été adaptés au cinéma et sont souvent devenus de grands succès du cinéma populaire (L'été meurtrier, Compartiment tueurs, Les enfants du marais,...) -- raconte la quête en 1919 de la jeune et belle Mathilde (Audrey Tautou) partie vaillament telle une petite Scarlett O'hara de nos campagnes sur les traces de son fiancé Manech, dit le Bleuet. Celui-ci a été envoyé combattre sur le front de la Somme pendant la Grande Guerre et on le dit "mort au champ d'honneur", en fait "fusillé pour l'exemple", comme le furent rééellement de nombreux soldats embarqués pour le voyage au bout de la nuit de 14-18. Elle veut savoir ce qui s'est passé exactement dans les tranchées et le découvre pour nous si l'on n'était pas encore au courant: l'horreur et l'absurdité des temps de guerre.
Tourné avec des moyens numériques modernes mais comme le cinéma d'avant savait le faire, avec ses reconstitutions soignées de l'époque, sa figuration abondante, son scénario de film à la fois policier, d'histoire, d'amour et de guerre, le film de Jean-Pierre Jeunet touche plutôt assez juste, parvenant à trouver, entre esthétique noire et jaune suranné quelque peu étouffante et thème historique à débat de ciné-club, l'étrange poésie d'un cinéma populaire d'aujourd'hui qui serait en même temps carte postale d'un ciné-romance français à l'ancienne et bande annonce d'un ciné-grand-spectacle à l'américaine. La voix off suivant de près le texte littéraire -- même si de nombreux détails ont été changés par rapport à la narration de Japrisot -- et la musique composée par Angelo Badalamenti (compositeur de David Lynch) servent en outre parfaitement cet univers original.

Copyright © Jean Bruno / La République des Lettres, Paris, lundi 25 octobre 2004. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.