Hawad

Hawad

Depuis trente six ans je veille

sur le sillage des combattants

qui ont pavé les champs de bataille

balisés par la pierre

du non-retour

J'ai pris la plume comme un fusil

et l'encre comme le tartre de la mort

Ainsi ai-je épuisé le vent

et toutes les passerelles de la métaphore

J'ai décortiqué la graine des mots

j'en ai écorcé le son pour qu'ils deviennent galets

munitions de paradoxes

dépouillés du tanin des sens

butoirs

sur lesquels je trébuche

et s'érnousse ma vue

Est-ce dans la lie de mon esprit

que j'ai nagé

jusqu'à écraser mon regard

sur le marc de la réalité ?

Ou est-ce les débris du souvenir

qui m'ont dévidé dans cet abîme noir de la conscience ?

La conscience d'être condamné

épave ombre touarègue

fantôme de sa propre âme

traversant les vertiges

et les clignements du crépuscule

Une épave, dis-je, une ombre

fantôme de sa propre âme

O tourne-tête sans appui

autre que latemujaghal

tempête de cimes d'orgueil

auquel personne aujourd'hui ne croit

pas même ceux qui ont têté

la moëlle épinière de son échine

bosselée par les résistances

aux temps

Tous les sens et les contours

que je donne à mes jours

se révèlent

sans aucun nerf

où poser un regard

aiguisé par l'ironie

Chaque jour du présent est comme

chaque jour de la veille sans horizon

Pourtant épis de flammes

une aube froufroutante

rejoint devant moi

l'envol de ma vue

Halètements guerriers d'un aigle

revenant à sa proie

vide écopé

que l'envolée des ailes

n'a pas arrasé

Azur absence

O Touaregs

en rongeant l'espace

qui sépare le vu du non-vu

je nivelle l'absence

silence engloutissant vos souffles

qui n'ont pas acclamé jusqu'ici

les taureaux porteurs de nos aubes

d'hier

Drapés de chimères de tourbillons

nous enfilons les lisières du paysage

Entorse et chagrin

nous sommes l'orgueil du voyage

Du levant au couchant

nous avons traîné l'alphabet millénaire

et tatoué le désert

du crépuscule à

Voilà qui je nomme

les passeurs de crépuscule

Si vous aussi avez des brumes

à traverser au-delà des cauchemards

alors prenez la route avec nous

Ne craignez pas les crépuscules

nous avons avalé mille lames de l'horizon

sur l'aiguille des saisons

et avons maché multitude d'étoiles

Orions des époques

Par la crête d'un rêve halluciné

nous entraînons les lendemains

Je le jure

Ceci est le blatèrement sourd

des passeurs de crépuscules

Vrille ondulation

marche-torsadée de l'écharde

remontant le dard jusqu'à la fissure

racine du nerf

Par la foudre et la vipère à corne

je le jure et le signe

ceci est le gémissement éteint

de l'enfant touareg

que le rot d'un canon a vissé

sur les vertèbres de sa mère

S'emmêlent les amarres

et s'entrecroisent les paysages

et se tassent les horizons

et sont piétinées les étoiles

Entre l'ennemi et l'ami

plus de distinction

entre le veule et le brave

plus de séparation

O vertiges

jument des nausées

Dans quelle époque

quel marécage-purin

de chiens et de phacochères

dansons-nous

au pas de canards constipés

Quel fragment ébréché de la balance

hissera le débris de nos jours

sur la terre et le ciel

Point de cou haut dressé

Ou bien connais-tu un glaive justicier

qui se dresserait

entre toi et ces nuées d'animosité

qui nous font enjamber le bât

de nos propres corps

et traverser le feu

pour encore tomber

dans un filet de flammes

rage des ongles du monstre

éclipse de tes jours.

Copyright © Hawad / republique-des-lettres.fr, Paris, jeudi 01 décembre 1994. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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