République des Lettres

Françoise Sagan

Décès de Françoise Sagan

Françoise Sagan est morte. Malade et âgée de 69 ans, la hussarde du Saint Germain des Prés sixties s'est éteinte vendredi 24 septembre des suites d'une embolie pulmonaire à l'hôpital de Honfleur, près de sa maison d'Equemauville où elle vivait retirée depuis plusieurs années.
Née le 21 juin 1935 à Cajarc (Lot) Françoise Quoirez -- elle prendra plus tard le pseudonyme de Françoise Sagan (emprunté à Proust) pour la publication de Bonjour Tristesse -- est issue d'une famille bourgeoise. Peu brillante élève du Couvent des Oiseaux et du cours Hattemer elle préfère lire seule Sartre et Camus tout en fréquentant assidûment les clubs de jazz du quartier latin. Ratant ses examens universitaires à la Sorbonne mais fascinée par les Illuminations de Rimbaud, elle écrit en quelques semaines Bonjour Tristesse (titre tiré lui d'un vers de Paul Eluard) qu'elle dépose au bureau de l'éditeur René Julliard. Bonjour Tristesse raconte dans un style immédiat et détaché l'éveil à l'amour d'une adolescente à la fois innocente et perverse. Le roman de Françoise Sagan est lancé au printemps 1954 sur fond d'émancipation féminine. A peine dix ans après la guerre, un vent de liberté souffle côté rive gauche, la presse s'emballe pour le ton nouveau de cette mineure que l'on compare à Colette ou à Radiguet. Le livre obtient le prestigieux Prix des Critiques avant d'être encensé par Mauriac. Le public curieux ou choqué suit, les ventes explosent pour atteindre à ce jour plus de deux millions d'exemplaires, devenant l'un des plus grands best-sellers de l'histoire de l'édition française. C'est la gloire pour la jeune Françoise Sagan propulsée icône de la jeunesse affranchie des années '50-'60 et bientôt égérie des zazous, des hussards et des existentialistes parisiens de tous poils. "La gloire, je l'ai rencontrée à 18 ans en 188 pages, c'était comme un coup de grisou", dira-t-elle plus tard. Entretenant sa légende personnelle, entourée d'amis (Bernard Frank, Florence Malraux, Jacques Chazot,...), Françoise Sagan mène une vie privée pleine d'excès et de petits scandales insolents. Grisée par le succès, les voitures de sport, l'argent, le jeu, la drogue, l'alcool, elle défraie souvent la chronique mondaine mais aussi, depuis les années '80, la chronique judiciaire avec diverses affaires de drogues, de plagiat (pour Le chien couchant), de fraude fiscale et même d'espionnage pour le compte de son ami Président de la République François Mitterrand dans le cadre d'un volet de l'affaire Elf. Mariée et divorcée à deux reprises, dont l'une avec l'éditeur Guy Schoeller, la romancière devenue au fil des ans sympathique grande dame à petits scandales de la scène culturelle française n'a jamais délaissé sa carrière littéraire et a publié une cinquantaine de romans ou pièces de théâtre dont plusieurs connaîtront de grands succès. Citons notamment Un certain sourire (1956), Dans un mois dans un an (1957), Aimez-vous Brahms? (1959), Les merveilleux nuages (1961), La robe mauve de Valentine (1963), La Chamade (1965), Des bleus à l'âme (1972), Le lit défait (1977), Avec mon meilleur souvenir (livre de souvenirs autobiographiques et d'hommages à certaines personnalités de ses amis, 1984), De guerre lasse (1985), Sarah Bernhardt (1987), La Laisse (1989), Les Faux-fuyants (1991), Un chagrin de passage (1993), Et toute ma sympathie (livre également de souvenirs, 1993), Le Miroir égaré (1996), et Derrière l'épaule (son dernier livre, sorte de critique autobiographique, 1998). "Pas de la grande littérature, mais un bilan globalement positif", disait-elle avec humour de son oeuvre. Avis partagé par la plupart des critiques littéraires depuis un demi-siècle, tous plus ou moins séduits par la fameuse "petite musique" mélancolique, le ton en apparence nonchalant d'une Françoise Sagan qui aura fortement marqué sa génération et occupera sans aucun doute une petite place éternelle dans l'histoire de la littérature française du XXème siècle malgré sa rapide désuétude. Pour mémoire, voici les premiers mots de Bonjour Tristesse: "Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. Cet été-là, j'avais dix-sept ans et j'étais parfaitement heureuse."

La République des Lettres, samedi 25 septembre 2004

 

Francoise Sagan
Francoise Sagan

 

 

 

 

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