LETTRE DE DIVORCE
Si tu fais ton chemin, tu ne seras plus à moi
Tu seras le gigolo de toute une chacune.
Suivant n'importe laquelle
tel le vautour qui s'acharne
sur la forme et la substance
Tu t'en repais -- ne percevant plus
La moindre différence
Entre le corps de l'amour et celui
de la femme payée.
A la poésie, tu préfères la ruse.
A la tombée de la nuit, ton sang n'est plus
que piétinement de mille et un chevaux
Sans bride -- les ancêtres se réveillent
et tes hémoglobines dansent la rumba.
Je t'ai souvent parlé de clair de lune.
Tu es incapable de percevoir la différence
entre nouvelle et pleine lune.
A l'amour, tu préfères l'opulence.
Sous le talon de n'importe qui, tu aspires
La moindre goutte d'alcool, cet alcool bien aimé
qui t'imprègne de la tête aux pieds
Sans qu'un seul instant tu sois désaltéré.
Je t'ai souvent parlé de rêves.
Toi, tu ne vois aucune différence
entre égout et océan.
Si tu fais ton chemin, tu seras le gigolo
de n'importe laquelle.
Qui est à toute une chacune ne sera jamais mien.
FRONTIERE NATURELLE
Je vais aller de l'avant
Derrière moi, une famille entière qui me rappelle
Mon enfant qui me tiraille par les pans du sari
Devant moi, un mari qui bloque la sortie.
Mais je m'en vais.
Le seul obstacle, c'est une rivière
Mais je traverserai.
Je sais nager, mais ils me l'interdisent
Eux tous, ils ne veulent pas que je traverse.
Il n'y a rien sur l'autre rive, rien
qu'une vaste étendue de champs vides
Mais ce vide-là je veux le toucher
Ne serait-ce qu'une seule fois,
Courir contre le vent, dont les gémissements
Me donnent envie de danser. Un jour,
Vous pouvez en être sûrs, je danserai
Et puis je serai de retour.
Je n'ai pas joué au gollachut depuis des années
Je soulèverai un beau tintamarre un jour,
en jouant au gollachut.
Et puis je reviendrai.
Depuis des années, je n'ai pas pleuré
dans le giron de la solitude.
Un jour je pleurerai toutes les larmes de mon
coeur.
Et puis je rentrerai.
Il n'y a rien devant sauf la rivière
Et je sais très bien nager.
Pourquoi ne m'en irai-je pas ? je m'en vais.
SENTENCE DE MORT
Me voici devant vous.
Procédez à l'ultime examen.
Permettez-moi un dernier bain.
Enquerrez vous de mes dernières volontés.
Demandez-moi, sans doute, d'exprimer mes
souhaits
Quant au menu de mon tout dernier repas:
Un riz spécial ? des langoustes ? du koï frit ?
Un pickles à l'écorce d'orange amère ?
De l'hilsa à la moutarde ?
Les personnes que je souhaite voir - père,
mère, frères, amis ?
Quelqu'un de particulièrement proche, un être
très cher ?
Non, je ne souhaiterais rien de tel.
Plutôt que tout cela, vous auriez l'étonnement
De ne me voir exprimer
Que cet unique désir...
Si je vous dis que je veux un monde sécularisé
Pourriez-vous me l'offrir ?
Ou si je réclame que l'on brise les digues,
les murs, les barbelés et les frontières
entre nations ?
Si j'exige un monde sans classe, sans religion,
Où l'égalité entre les femmes et les hommes
existerait réellement enfin
Sauriez-vous me le donner ?
Pourriez-vous me faire entrevoir l'aube
d'un monde aussi beau ?
Si oui, j'irais à la potence en riant,
J'écouterais sans murmurer ma sentence
de mort.
Sinon, j'arracherais la corde, je m'évaderais
pour vivre encore et encore.
Vivante, tel une rizière aux trois quarts
submergée,
Je sèmerais le monde de mes rêves.
SOIF
(Noyant nos corps dans l'essence de parfum
nous nous ébattrons dans les filets du désir)
Mon plus cher souhait:
Demeurer à jamais
Au contact de ce trésor sans prix.
Si le chant de la pluie emplit enfin le ciel
J'offrirai mon corps à découvert
A ses baisers froids, je répondrai
Avec la tiédeur de mes lèvres entrouvertes.
Je languis d'être enfin à genoux
Dans l'abandon de tout palais, l'oubli
De tout empire.
étendez seulement les bras, cueillez
En une fois toute la chaleur de l'été
Son exquise douceur.
Réveillez l'appel du tambour, j'ai besoin
De la crue pour apaiser ma soif!
Que l'inondation me soit enfin refuge !
Oh, depuis si longtemps j'ai souhaité
Voir le sceau du sang anoblir
Les formes de ce corps trop virginal !
Pour toucher ne serait-ce qu'une seule fois
L'insupportable beauté --
J'abandonnerais monde et foyer !
(Traduction de Patrick Hutchinson)