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La République des Lettres

Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke
Lettres à un jeune poète
La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0207-4
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • Fnac • Amazon • Kobo • iTunes

Adolfo Bioy Casares

Adolfo Bioy Casares

Adolfo Bioy Casares est longtemps demeuré dans l'ombre de son ami Jorge-Luis Borges. Avec lui, il a écrit des romans policiers sous les pseudonymes communs et alternatifs de Bustos Domecq et de Suarez Lynch, créant un curieux personnage de détective argentin, Don Isidro Parodi. Mais il a suivi son propre chemin littéraire depuis la publication, en 1940, de L'Invention de Morel, le premier roman qu'il n'eut pas à renier par la suite. Cest une allégorie fantastique où l'image des morts se substitue à la vie réelle, sur une île déserte soudainement peuplée de fantômes qui sont là pour l'éternité. Bioy Casares imagine au rythme de sa respiration, à partir d'une vision reflétée par un miroir vénitien, d'un souvenir d'enfance ou de la sonorité d'un nom propre. Lorsque des éléments contraires, qui n'étaient nullement destinés à se rencontrer, entrent en connexion, surgit le fantastique comme une seconde nature, aussi spontanément que s'il s'agissait d'un récit autobiographique parfaitement linéaire. Dans son dernier roman, Un Champion fragile, il effectue une étrange randonnée dans Buenos-Aires, au volant d'un taxi conduit par Luis Angel Morales, qui tire une force surhumaine de son prénom, qui est aussi celui du boxeur argentin Luis-Angel Firpo, rival malheureux de Jack Dempsey. Mais l'homme connaît aussi la faiblesse humaine, en la personne de Valentina, un amour évanescent. Entre la plongée dans l'irréel et le brusque retour au quotidien se déroule le parcours d'un personnage qui affiche quelques points communs avec son créateur, peut-être pour la première fois. Avec ses 81 ans, Adolfo Bioy Casares vient d'être récompensé par le Prix Roger Caillois pour l'ensemble de son oeuvre. Il a toujours de nouveaux projets en tête, comme un jeune homme de 20 ans. Des histoires fantastiques bien sûr, imprévisibles comme sa propre vie. Entretien.

Un Champion fragile est un livre assez différent de vos romans antérieurs. C'est une promenade un peu anarchique à travers Buenos Aires. Le récit a l'air moins construit que les précédents. Quelle a été votre évolution sur le plan du style ?

Adolfo Bioy Casares : C'est peut-être la vieillesse qui m'amène à une plus grande imprécision. Avec L'Invention de Morel, je me surveillais constamment pour ne pas commettre d'erreur. Par la suite, la main s'est relâchée. Il se peut que je sois en décadence, qui sait ?

Que signifie "ne pas commettre d'erreur"?

Adolfo Bioy Casares : Dans ma jeunesse, j'ai publié six livres qui, à mon avis, étaient les livres les plus mauvais du monde. Avec L'Invention de Morel, je savais que je tenais entre mes mains une excellente histoire et qu'il ne fallait pas la gâcher. c'est pourquoi j'ai dû faire très attention. J'ai essayé d'écrire clairement, sans mettre en évidence un style, sans apporter de nouveautés, en mettant la forme au service du récit, avec des phrases courtes, plus facilement maîtrisables. Lorsque je relis ce roman, je trouve que cela ressemble à de la chapelure de pain.

Vous avez toujours eu recours au genre fantastique sauf, peut-être dans votre dernier roman. L'apparition du fantastique est-elle naturelle en vous?

Adolfo Bioy Casares : Les idées qui parviennent jusqu'à mon écriture sont toujours fantastiques. j'aimerais beaucoup pouvoir écrire un roman qui n'ait rien de fantastique. Même Un Champion fragile appartient à ce genre-là. Je ne crois pas que le commun des mortels puisse un jour avoir une force fantastique et la perdre le jour suivant. Mon personnage possède une force qui lui est envoyée de très loin. Ce n'est pas vraiment une idée réaliste.

Dans Un Champion fragile, vous faites appel à vos souvenirs d'enfance, d'abord avec le boxeur Luis-Angel Firpo, puis avec la femme recherchée, Valentina.

Adolfo Bioy Casares : C'est possible, oui. C'est une fille qui habitait en face de chez moi. J'ai eu des amours avec elle et, un beau jour, elle a disparu. Beaucoup plus tard je la revis. Elle était assise à côté de moi au cinéma. Je la raccompagnai chez elle et elle disparut à nouveau. Certaines anxiétés peuvent être utiles à l'écriture. Je pense qu'un écrivain doit savoir se réjouir de ses échecs. Les échecs produisent de la bonne littérature. Le triomphe dans la vie, non.

Votre littérature serait-elle l'histoire d'un échec, particulièrement avec les femmes ?

Adolfo Bioy Casares : J'ai eu une certaine chance avec les femmes. Mais j'essayais en fait de vaincre ma timidité. C'est l'histoire non d'un échec, mais de plusieurs.

Votre femme, Silvina Ocampo, a dû souvent supporter vos écarts.

Adolfo Bioy Casares : Elle m'a dit un jour qu'elle se rendait compte que je l'aimais car, malgré tout, je revenais toujours vers elle. Mais nous n'en parlions jamais.

Avec Silvina Ocampo et avec Borges vous avez écrit ensemble pas mal de récits et de romans. Comment écrit-on à quatre mains ?

Adolfo Bioy Casares : Beaucoup plus facilement que seul. Nous écrivions en discutant. L'un trouve la première phrase. Si elle est bonne et qu'elle est acceptée par l'autre, on continue. L'important, c'est l'amitié, ne pas avoir de rivalité ni de vanité.

Qu'a représenté Borges pour vous? Etait-ce un de vos maîtres? N'y-a-t-il pas eu une certaine mythification de Borges en le présentant seulement comme une bibliothèque ouverte?

Adolfo Bioy Casares : Borges me faisait sentir que j'étais son égal. Nous écrivions différemment. Moi, j'ai commencé à écrire de la fiction alors que je n'avais que quatorze ans tandis que lui a commencé beaucoup plus tard. Chacun acceptait la personnalité de l'autre. Mais Borges n'était pas seulement un érudit. C'était un être humain, capable de souffrir par amour. Un homme qui, malgré un fond permanent de tristesse, pouvait être très gai. Il arrivait toujours chez moi en racontant une histoire que quelqu'un venait de lui raconter. Ce quelqu'un, c'était un personnage qu'il avait inventé quelques minutes auparavant.

Vous avez connu tous ceux qui gravitaient autour de la revue Sur, l'une des plus importantes d'Amérique Latine: Borges bien sûr, mais aussi Roger Caillois, qui vécût la seconde guerre mondiale depuis Buenos Aires, et votre belle-soeur Victoria Ocampo, qui était en quelque sorte l'égérie du groupe. Quels ont été vos rapports avec Sur ?

Adolfo Bioy Casares : Victoria Ocampo était insupportable. Elle était très autoritaire. Elle n'avait pas d'amis, seulement des vassaux. Tous ceux qui l'entouraient devaient accepter ses ordres. Mais son rôle à la tête de la revue Sur a été très important. C'est une revue qui a duré de longues années. Je n'appartenais pas au groupe car je n'avais pas les mêmes goûts littéraires que Victoria Ocampo.

Vous n'avez jamais envisagé d'écrire l'histoire de cette génération ?

Adolfo Bioy Casares : Il se peut que je le fasse un jour. Mais je ne suis pas un historien de la littérature. Ce que je pourrais raconter, c'est l'histoire de notre amitié. Ce n'est pas facile.

Il est plus facile pour vous de faire parler l'imagination que la réalité?

Adolfo Bioy Casares : Je crois que oui. La machine à raconter des histoires qui est en moi entrevoit à peine la possibilité d'un récit qu'elle commence à le compliquer à l'infini sans le moindre effort.

Copyright © Jacobo Machover / , Paris, lundi 15 avril 1996. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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