Paul Auster

Paul Auster

L'actualité de Paul Auster est plus que brûlante. Ils font florès ces derniers mois les ouvrages de, pour, avec, et sur, Paul Auster. Et ce n'est, somme toute, pas un mal. Auster est un véritable écrivain, un créateur d'univers comme la littérature américaine des années 80 en a vu émerger quelques-uns: on pense à Breat Easton Ellis, Douglas Coupland, David Payne, Pat Conroy et autre Jay Mc Inerney. Reste que plus qu'aucun autre il a su imposer New York comme épicentre de ses livres, point noeudal de toutes ses fantasmagories, de ses réflexions tout à la fois hallucinées et d'une rare précision sur la solitude, la déréliction, le langage et la création littéraire, l'Amérique ou la perte du père.

Autant de thèmes qu'il évoque dans ses entretiens avec Gérard de Cortanze: ses années de "disette" à Paris et New York, son judaïsme — celui d'un petit-fils d'immigrants juifs qui ont dû passer par Ellis Island --, son éducation littéraire, de Kafka, évidemment, à Hawtorne, Melville, Cervantès ("toujours"), Shakespeare ("le modèle"), ou encore Proust, Pascal et Montaigne ("surtout"), et les multiples traductions dont il est l'auteur, de Sartre à Blanchot, en passant par Mallarmé, Jacques Dupin ou André Du Bouchet. Auster s'interroge aussi sur la société américaine telle qu'il la voit évoluer et telle qu'elle ne laisse de l'inquiéter (voir, à ce propos, et en complément, le remarquable recueil de récits de Jean-Paul Dubois, L'Amérique m'inquiète, où l'on retrouve bon nombre des appréhensions qu'évoque Auster).

Paul Auster revient, en outre, sur quelques malentendus qui émaillent les articles et essais que l'on a pu, déjà, lui consacrer: non, il n'est pas un auteur de romans policiers ("parfaitement absurde")... non, New York n'est pas un élément essentiel de son oeuvre: "La ville existe et constitue une partie intégrante de mon travail". Non, vraiment ? "New York fait tellement partie de ma vie qu'il m'est difficile de m'imaginer ailleurs. Evidemment cette dernière assertion contredit tout ce que j'ai dit précédemment". Evidemment. Cela ne signifie pour autant qu'il faille se rallier aux formules à la paresseuse sur "Auster, le plus européen des auteurs américains": là encore, Auster répond, argumente, et souvent, s'amuse. A ceux qui trop souvent dissertent sur "Le hasard dans l'oeuvre de Paul Auster", celui-ci rétorque, à l'instigation de Gérard de Cortanze, qu'il n'en est rien: le hasard ne remplace pas le destin, il en est l'instrument, "mais surtout, mon univers romanesque est davantage en proie à la nécessité, à ce que Sartre appelait 'les contingences'. Il y a nécessité et contingences et la vie n'est que contingences". On l'aura compris: ce livre d'entretiens fourmille d'éclairages sur l'oeuvre de Paul Auster himself, son oeuvre, sa façon de travailler.

Sur le New York d'Auster, celui de ses personnages comme celui de l'écrivain, on pourra compléter cette lecture par le New York de Paul Auster, très bel album, agrémenté d'un texte précis et érudit, là encore de Gérard de Cortanze (exégète en titre de l'oeuvre de l'écrivain, mais non pour autant biographe officiel): c'est "un guide subjectif d'une métropole invisible", un peu comme si, mutatis mutandis, l'on prenait la route de Berlin pour y retrouver la trace de Franz Biberkopf, le héros d'Alfred Döblin: étonnant et fascinant.

Enfin, la place nous manque, mais comment ne pas évoquer en quelques mots Le diable par la queue, récit autobiographique où Auster évoque les années de vaches maigres, les terribles difficultés à se faire éditer — dont il ne viendra à bout qu'aux environs de 35 ans (!) --, les petits boulots collectionnés pour survivre et pouvoir écrire. Singulier, très singulier récit dans l'oeuvre d'Auster: où l'on voit que si beaucoup d'éditeurs qui avaient refusé de l'éditer ont depuis lors fermé boutique, l'auteur, lui, n'a de fait jamais vraiment douté: le travail et l'opiniâtreté ont fini par payer, et l'argent n'est plus un problème: ce qui, en matière de morale de l'histoire est plutôt réconfortant, non ?

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• Paul Auster, Le Diable par la queue / La Solitude du labyrinthe (Éditions Actes Sud).

• Gérard de Cortanze, Le New-York de Paul Auster (Éditions Actes Sud).

Copyright © François Kasbi / republique-des-lettres.fr, Paris, samedi 01 mars 1997. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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