Google | Twitter | Facebook | RSS | Lettre d'information | Fnac | Kobo | Immatériel | iTunes | Amazon

La République des Lettres

Abdelkébir Khatibi

Abdelkébir Khatibi
Triptyque de Rabat

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0122-0
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • AmazoniTunes

Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy

Fraîchement intronisé sixième président de la Vème République Française, Nicolas Sarkozy a placé les cérémonies protocolaires de sa journée d'investiture sous un fatras de symboles et d'hommages à la Résistance. Après avoir ravivé la flamme du soldat inconnu et déposé des gerbes sous les statues de Georges Clémenceau et du Général de Gaulle, il s'est rendu au Monument de la Cascade du Bois de Boulogne pour y rendre un lourd, très lourd, hommage à Guy Môquet.

Fils d'un cheminot député communiste, Guy Môquet était un jeune résistant militant des jeunesses communistes. Arrêté par la police française en 1940, il fût emprisonné au camp de Châteaubriant (Loire-Atlantique). A la suite du meurtre d'un officier allemand par des communistes, le ministre de l'Intérieur du gouvernement Pétain le sélectionna avec une cinquantaine d'autres prisonniers communistes qu'il livra en otages aux occupants "pour éviter de laisser fusiller 50 bons Français". Le 22 octobre 1941, ils sont tous abattus par les nazis à titre de représailles. Avant d'être fusillé Guy Môquet, âgé de 17 ans, écrivit cette lettre d'adieu à ses parents:

Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c'est d'être courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j'aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon coeur, c'est que ma mort serve à quelque chose. Je n'ai pas eu le temps d'embrasser Jean. J'ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable je ne peux le faire hélas ! J'espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui, je l'escompte, sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t'ai fait ainsi qu'à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j'ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m'as tracée. Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j'aime beaucoup. Qu'il étudie bien pour être plus tard un homme. 17 ans et demi, ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c'est d'être courageuse et de surmonter ta peine. Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, je vous embrasse de tout mon coeur d'enfant. Courage ! Votre Guy qui vous aime

Point d'orgue de sa journée d'investiture, entre Marseillaise entonnée gravement par le Choeur de l'armée française et pompeux discours de Max Gallo, Nicolas Sarkozy a tenu à faire lire cette lettre par une lycéenne devant le Monument de la Cascade du Bois de Boulogne dressé en hommage à 35 autres jeunes résistants martyrs fusillés eux en août 1944, à quelques jours seulement de la Libération de Paris. Devant les caméras de télévision, le nouveau chef d'Etat fit semblant d'essuyer une larme pendant la lecture et annonça au début d'un inquiétant discours d'exaltation des valeurs patriotiques que sa "première décision de président de la République sera de demander au futur ministre de l'Education nationale que cette lettre soit lue en début d'année à tous les lycéens de France".

Décision consensuelle tout à fait respectable que personne ne contestera. Marie-George Buffet, secrétaire nationale du Parti communiste français, n'a d'ailleurs pu qu'approuver, estimant que "la lecture de la dernière lettre de Guy Môquet avant son exécution est un message fort [...] parce que son combat pour l'émancipation humaine avait un but, celui de construire une République des droits et des libertés dans une démocratie". Pour le PCF, "Ce combat pour résister et pour l'émancipation humaine est pleinement d'actualité et anime aujourd'hui les hommes et les femmes de progrès. Il est donc important que ce message soit délivré aux futures générations et contribue ainsi à placer au coeur de notre République, des valeurs, des droits et un idéal".

On ne peut toutefois s'empêcher de penser que la lourde insistance de Nicolas Sarkozy sur l'esprit de sacrifice et de résistance, sur l'histoire et l'identité de la France éternelle, et sur les nombreux autres symboles patriotiques et nationalistes mis en scène et servis en grande pompe aux médias du monde entier pour cette intronisation, renvoient en creux à une période, celle de la collaboration et du régime de Vichy, dont il est objectivement, par son idéologie, sa personnalité et son parcours, plus proche que celle de la Résistance et du Gaullisme dont il semble vouloir aujourd'hui s'instituer l'héritier. Avec tout le respect dû au nouveau président de la République, il n'est pas inutile de rappeler que son profil renvoie plus à celui du traitre de la droite collaborationniste, voire du milicien de la gestapo, que de l'héroïque jeune résistant communiste. Par ailleurs Guy Môquet combattait pour ce qui allait aboutir au Conseil National de la Résistance (CNR) qui prépara pour l'après-guerre une grande politique de reconstruction solidaire et de progrès social (création de la Sécurité Sociale, nationalisation des services d'énergie, système de retraites, droit du travail, etc) que la droite sarkozyste à promis de finir de casser sans aucun complexe.

Le matin même, dans son discours d'investiture prononcé après la passation de pouvoirs avec Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy a lancé une douzaine d'"exigences" pour son mandat "au service de la France" -- pêle-mêle de sécurité, d'ordre, d'autorité, de morale, de protection, de résultat, etc... -- et a réitéré la promesse faite à ses partisans de "réhabiliter les valeurs du travail, de l'effort, du mérite, du respect". Tout cela, ajouté à son programme ultralibéral et néoconservateur, ne rappelle-t-il pas quelque part la célèbre devise de la France du Maréchal Pétain: Travail, Famille, Patrie plutôt que le Liberté, égalité, Fraternité originel de la République Française ?

Les conseillers de Nicolas Sarkozy devraient lui rappeler que, avec ses 20% de voix venues d'une extrême-droite dont on connaît les accointances avec les idéologies des régimes de Pétain et d'Hitler, ainsi que, pendant la campagne électorale, ses propos sur l'eugénisme ou encore sa proposition de créer un ministère de l'immigration et de l'identité nationale aux forts relents de commissariat aux affaires juives, ses exercices de style et sa manipulation des symboles de la Résistance trouvent aujourd'hui leurs limites. Pour notre part, nous lui conseillerons une autre référence, celle de l'écrivain Léon-Paul Fargue, qui n'avait pourtant rien du mauvais esprit de la génération 68 mais n'avait pas hésité à transformer le tryptique Travail, Famille, Patrie en un Tracas, famine, patrouille qui pourrait bien à terme pour les Français définir le quinquennat sarkozyste tel qu'il semble engagé.

Copyright © Hortense Paillard / La République des Lettres, Paris, jeudi 17 mai 2007. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.

Abonnement à la Lettre d'info

Google | Twitter | Facebook | RSS | | Fnac | Immatériel | Kobo | iTunes | Amazon
Copyright © Noël Blandin / La République des Lettres, Paris, dimanche 21 avril 2013
Siren: 330595539 - Cppap: 74768 - Issn: 1952-4307 - Inpi: 93483830
Catalogue des éditions de la République des Lettres
Brève histoire de la République des Lettres
A propos de la République des Lettres