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La République des Lettres

Abdelkébir Khatibi

Abdelkébir Khatibi
Triptyque de Rabat

La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0122-0
Livre numérique (format ePub)
Prix : 5 euros
Disponible chez • AmazoniTunes

Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy

À J-13 avant le premier tour de la présidentielle, après une trève pascale où Nicolas Sarkozy avait semblé vouloir minimiser ses propos sur la prédisposition génétique de l'homme à la pédophilie et au suicide, le débat revient à la surface, relancé par l'auteur même de cette énorme bourde néo-raciste. Sur France 2, le candidat UMP à l'Elysée s'est en effet de nouveau interrogé mardi 10 avril sur "la part de l'inné et de l'acquis" et a demandé à ses adversaires de "ne pas fermer la porte à ce débat" qu'il a lancé dans la campagne électorale. Poursuivant son dérapage polémique incontrôlé il insiste même pour établir aussi un parallèle avec les cancers liés au tabagisme et se pose en agitateur d'idées (et quelles idées!): "Moi, j'ai avancé ces idées pour en débattre" et "Si Mme Royal et M. Bayrou sont choqués dès qu'il y a une idée nouvelle, ce n'est pas la peine d'être candidats", a-t-il asséné, comme à son habitude très énervé. La prise de position ainsi réaffirmée de Nicolas Sarkozy est d'autant plus inquiétante qu'elle suit sa proposition de création d'un déjà très contesté "ministère de l'immigration et de l'identité nationale" ainsi que la proposition, dans son projet de loi de 2006 relatif à la prévention de la délinquance, de dépister dès le premier âge les "troubles du comportement". Sur une question éthique aussi sensible et un terrain idéologique aussi nauséabond que les politiciens racistes et néo-nazis les plus extrêmistes n'abordent même plus tant ils sentent le souffre, ses adversaires ne vont sans doute pas manquer de le prendre au mot pour dénoncer les thèses qui sous-tendent ses déclarations.

L'affaire est née dans le dernier numéro du magazine Philosophie Magazine qui publie un entretien entre le philosophe libertaire Michel Onfray et Nicolas Sarkozy. Entre autres lieux communs et formules lapidaires révélant tant son inculture que son incapacité à réfléchir, l'inquiétant candidat de la droite décomplexée y déclare notamment qu'il "incline à penser qu'on naît pédophile" et que, concernant le suicide des jeunes, "les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense". Ce discours qui s'inscrit dans la plus pure tradition des théories eugénistes -- vulgarisées notamment en France par le physiologiste raciste et antisémite Alexis Carrel, conseiller de Pétain -- renvoie à une conception profondément archaïque de l'homme et de la société dont il était difficile d'imaginer que, dans la France de 2007, un des candidats susceptible d'accéder à la magistrature suprême puisse s'y référer.

De nombreuses voix de tous les milieux intellectuels, scientifiques, politiques et religieux se sont élevées ces derniers jours contre ces propos de Nicolas Sarkozy. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, les a qualifié de "profondément choquants, inacceptables et inquiétants". Lundi, Najat Belkacem, porte-parole de Ségolène Royal, a demandé au candidat UMP de s'expliquer car, pour le Parti Socialiste, mettre ainsi en avant le déterminisme génétique n'est pas "une boulette de campagne" mais bien le signe d'un "programme profondément réactionnaire et anti-humaniste" de l'ex-ministre de l'Intérieur. Ségolène Royal laisse pour sa part les scientifiques répondre tout en estimant que si elle s'était "permise de dire des énormités pareilles, [...] cela aurait émergé dans le débat public". Marie-George Buffet, candidate de la gauche populaire antilibérale, estime que cette "monstruosité", "extrêmement grave", revient "sur tout ce qui a été l'évolution des sciences dans notre société". "Comment cautionner des théories qui ont servi de fondements idéologiques au fascisme, au nazisme, et auxquelles la communauté scientifique a depuis longtemps fait un sort ?" s'est-elle indignée dans un communiqué. Le leader altermondialiste José Bové a estimé que ces "déclarations de Nicolas Sarkozy sont indignes d'un responsable politique prétendant accéder à la présidence de la République". Il "appelle tous les concitoyens à refuser la société génétiquement modifiée de Nicolas Sarkozy". Le centriste François Bayrou s'est aussi opposé à Nicolas Sarkozy sur cette question éthique, s'effarant des "propos terriblement inquiétants et glaçants" de son adversaire. Pour lui, il s'agit d'un "dérapage très lourd de conséquences" car "cette thèse anti-scientifique et anti-humaniste remet en cause les valeurs communes autour desquelles a été construite la société française". Philippe de Villiers (MPF) s'est dit lui "abasourdi" par les déclarations de Nicolas Sarkozy, estimant qu'elles "relèvent d'un autre âge". Pour lui "Il n'y a pas de pré-déterminisme et il y a quelque chose dans cette déclaration qui conduit tout droit à une société de l'eugénisme". Jean-Marie Le Pen lui-même s'est également déclaré en désaccord avec une telle vision de l'homme et de la société. Côté scientifiques, le généticien Axel Kahn, a déclaré que le "gène d'un destin malheureux" n'existait pas et a reproché à Nicolas Sarkozy de "s'exonérer par avance de ses responsabilités" sur la réactivation de telles idées dont on connaît aujourd'hui quelles dérives elles ont engendrées. Selon lui, cette vision d'un gène responsable de la pédophilie ou du suicide est tout simplement "ridicule" et "confirme les liens idéologiques du candidat UMP avec la Nouvelle droite". Le généticien André Langaney voit dans la défense de ces thèses une réminiscence de "ce que voulaient faire des gens pendant la deuxième guerre mondiale" (cf en particulier l'Allemagne nazie d'Adolf Hitler dans sa tentative de purifier la race aryenne par l'extermination des Juifs, des malades, des homosexuels et autres "déviants"). Le psychanalyste et psychiatre Bernard Golse a pour sa part expliqué que "la génétique, ce n'est pas un destin ou une fatalité. [...] Tout dépend des rencontres qu'on fait ou qu'on ne fait pas. [...] Il convient donc de distinguer les facteurs primaires de vulnérabilité et les facteurs secondaires qui viennent fixer quelque chose", selon ce spécialiste. L'Église, très sensible à la question de l'eugénisme en raison de sa position sur l'avortement, est également très troublée par les déclarations de Nicolas Sarkozy. Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, a sévèrement critiqué le candidat vers lequel penche pourtant une bonne partie des ouailles catholiques: "L'homme est libre", a-t-il affirmé après avoir jugé "grave l'idée que l'on ne puisse pas changer le cours de l'existence".

Tout cela fait dire au philosophe Bernard-Henri Lévy que "tout bien pesé" il votera finalement pour Ségolène Royal. "Il y a des choses chez Nicolas Sarkozy qui me semblent aujourd'hui proprement irrecevables, proprement inacceptables", a-t-il déclaré sur France Inter. "Dans d'autres cas, on se disait: c'est de la tactique, c'est du machiavélisme, il est en train d'aller pêcher les voix de Le Pen. Là, non, c'est quelque chose qu'apparemment il pense et je crois qu'une ligne jaune a été franchie", a-t-il conclu.

Copyright © Hortense Paillard / La République des Lettres, Paris, mardi 10 avril 2007. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.

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