Gao Xingjian

Gao Xingjian n'ira pas au Salon du Livre, ou peut-être que si, mais la question de sa présence ou de son absence occupe en tout cas beaucoup le petit monde de la littérature, de la presse, de l'édition et même de la diplomatie française. Dernier "évènement" en date, après une controverse qui dure déjà depuis deux mois, le Prix Nobel 2000 de littérature vient d'indiquer qu'il n'ira pas au Salon du Livre car il ne veut pas être "mêlé à ça. (...) Il y aura trop de monde et j'aurais peur d'attraper la grippe", dit-il ironiquement.

Une polémique a éclaté fin janvier, juste avant la visite d'Etat en France du président chinois Hu Jintao. Une quarantaine d'auteurs de langue chinoise sont en effet officiellement invités au Salon du Livre, du 19 au 24 mars, qui honore cette année les Lettres chinoises, mais Gao étant désormais français (depuis 1998) et résidant en France, il n'y a, selon le Centre National du Livre, aucune raison de le convier à faire partie de cette délégation étrangère. Il en va de même pour Dai Sijié ou François Cheng, autres Français d'origine chinoise. Ses traducteurs et ses amis pensent qu'il y a au contraire quelques raisons moins avouables et que la France ne l'a pas inclus dans sa liste d'invités peut-être afin d'éviter de froisser les autorités politiques chinoises. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères, a démenti cette interprétation et indiqué que "Gao Xingjian a évidemment toute sa place au Salon du Livre". L'écrivain, lui, est très perturbé par le tourbillon des médias et des rencontres mondaines depuis son Prix Nobel et regrette que cette polémique autour de sa personne aboutisse à reléguer au second plan son oeuvre, très marquée par la défense de l'individu face à tous les systèmes. "Tous ces tracas au sujet du Salon du livre, ça m'angoisse parce que ce n'est pas mon problème, ce n'est pas mon travail", dit-il, ajoutant aussi que "On a beau parler des droits de l'homme, il faut d'abord respecter l'individu et sa liberté. Sinon, c'est du vent, un beau discours qui ne nous sert à rien à nous les vivants."

Gao Xingjian a par ailleurs décidé de quitter son éditeur d'origine, les éditions de l'Aube. Claude Cherki, président du Seuil, a indiqué lors d'une rencontre où il présentait les deux derniers ouvrages de l'auteur (un essai: Le témoignage de la littérature, et un recueil de théâtre: Le quêteur de la mort) qu'il a "choisi de quitter les éditions de L'Aube, libre de tout engagement, pour des raisons personnelles sur lesquelles il ne souhaite pas s'étendre (...). Il a décidé de confier la suite de son oeuvre aux éditions du Seuil en qui il a mis sa confiance". Le Seuil, qui publie déjà plusieurs Nobel (J-.M Coetzee, Günter Grass, José Saramago,...), est ravi d'en ajouter un nouveau à son catalogue, mais pour Jean Viard et Marion Hennebert, responsables des éditions de l'Aube qui publient ses livres depuis dix ans, dont les grands romans comme La montagne de l'âme (1995, 300.000 exemplaires vendus) ou Le livre d'un homme seul (2000), le coup est rude. Dans un communiqué, ils se réjouissent du grand succès de l'écrivain mais ajoutent aussi que "Cette reprise d'un auteur que Le Seuil avait refusé en 1994, comme tant d'autres grands éditeurs français, et que nous défendons depuis 10 ans avec le succès que l'on sait, nous est extrêmement pénible". Editeurs également de Vaclav Havel, ils ajoutent : "M. Havel, devenu président de la République, a tenu à confier ses textes aux éditeurs qui l'avaient accompagné quand il était pourchassé et emprisonné, pour les remercier de lui avoir fait confiance. M. Gao Xingjian et les éditions du Seuil ont une autre démarche. Libre à chacun d'apprécier. Pour notre part, après avoir hésité, nous avons décidé de ne pas intervenir juridiquement en faisant jouer notre droit de préférence. Car, au-delà du préjudice économique évident que nous subissons, nous avons considéré que les choix éthiques qui fondent notre action et nos décisions éditoriales ne peuvent se monnayer devant un tribunal. Surtout cette année où le premier prix Nobel chinois n'a été convié à aucune des nombreuses manifestations organisées autour de l'Année de la Chine, ce qui met ainsi la Chine "à l'honneur" en France d'une bien curieuse manière".

Né en 1940 en Chine, dans la province du Jiangxi, Gao Xingjian est le premier écrivain de langue chinoise à recevoir le Prix Nobel de littérature. Dramaturge, traducteur de grands auteurs français en chinois, critique littéraire et peintre reconnu, il est considéré comme un pionnier de l'art et de la littérature chinoises d'avant-garde. Expédié en camp de rééducation pendant la Révolution culturelle et voyant ses écrits interdits en Chine il s'était réfugié à Paris en 1988 et a été naturalisé français en 1998.

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, mercredi 10 mars 2004. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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