République des Lettres

Philippe Val

Philippe Val et les nouveaux philosophes de Charlie Hebdo

Aucun téléspectateur n'aura été épargné par cette révélation : Philippe Val est désormais un "philosophe". Depuis la sortie de son Traité de savoir-survivre par temps obscurs (Éditions Grasset), dans lequel le protégé de Bernard-Henri Lévy réchauffe au micro-ondes ses barquettes de Spinoza à 0 % ("L'amour nous éloigne-t-il de la guerre ?"; "Les singes sont-ils fascistes ?"; "Comment être un homme des Lumières aujourd'hui ?"), le golfeur analphabète Sylvain Bourmeau l'accable dans Les Inrockuptibles de questions embarrassantes ("Il y a dans votre livre des propos extrêmement intelligents", 09.01.07) et les animateurs de salons télévisés se l'arrachent. Le 22 janvier, Val trône à la "matinale" de Canal Plus, puis pontifie chez Yves Calvi sur France 2 au sujet de la mort de l'abbé Pierre en compagnie de Bernard Kouchner et Christine Boutin. "Alors vous, le directeur de Charlie Hebdo..." caquette Calvi, qui escompte une saillie anticléricale mais ne récolte qu'une dissertation sur l'urgence de ressusciter la Constitution européenne pour loger les sans-abri. C'est tout ce qui reste du vernis d'impertinence associé à la "marque" Charlie Hebdo. Quand d'anciens lecteurs les interpellent, les équipiers du journal rétorquent que "Charlie, ce n'est pas que Philippe Val". Mais ils consentent à lui servir de faire-valoir. Dans un portrait hagiographique de "l'humoriste" paru dans Le Monde (11.01.07), la promotion du taulier reçoit l'appui de son rédacteur en chef adjoint, Charb, qui fut jadis l'un des rares à oser ruer dans les brancards. Le trublion poncé par les ans découvre que son patron est un génie à deux facettes, "Val qui signe ses éditos, qui parle de sujets très sérieux à la radio et à la télévision, et Val totalement déconnant qui fait les brèves très drôles de la page 16 de Charlie." " C'est un vrai philosophe", s'émerveille Cabu.
"Toutes les sensibilités s'expriment au journal, plaide Val. Entre Siné et moi, il y a une marge." La petite chronique de Siné, vestige du Charlie Hebdo contestataire des bouquinistes, procure son alibi pluraliste à un journal strauss-kahnisé où plus une tête ne dépasse, excepté celle, enflée, du directeur. La campagne référendaire du Traité Constitutionnel Européen a conforté cette liberté d'expression. Apprenant qu'une équipe de France 3 avait eu l'audace de tourner un sujet sur l'un de ses salariés opposé à son oui-ouisme, Val fit un scandale et réclama de visionner les images avant diffusion. "On était sidérés, raconte au Plan B une source proche de la chaîne. C'était la première fois qu'un directeur de journal téléphonait chez nous pour censurer un reportage sur l'un de ses collaborateurs. Il n'avait aucun droit à cela, mais il a fait un tel foin que la journaliste a fini par lui envoyer la cassette." Val exigea des coupes, le sujet passa à la trappe, personne ne protesta.
Car à Charlie Hebdo, on se sent libre. Cabu bat la campagne pour le maire de Paris; Caroline Fourest promène ses imprécations contre les "islamo-gauchistes"; Charb sort un livre intrépide contre les fumeurs; Luz explique dans les pages "Tentations" de Libération pourquoi il porte la moustache ("Tout petit déjà, je voulais des poils", 12.01.07); Jul multiplie les dîners mondains et Bernard Maris fait Patou et Patachon avec Jean-Marc Sylvestre. Tous ânonnent le sermon des repentis successivement prêché par BHL, Plenel, Joffrin et désormais Val dans son dernier livre: "Nous sommes cette espèce qui a le devoir de penser contre elle-même."

Le Plan B, vendredi 09 février 2007

 

Philippe Val
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