République des Lettres

Naguib Mahfouz

Décès de l'écrivain égyptien Naguib Mahfouz

L'écrivain égyptien Naguib Mahfouz, lauréat du Prix Nobel de littérature en 1988, est mort mercredi 30 août au Caire, à l'âge de 95 ans.
Né au Caire le 11 décembre 1911 dans une famille de la petite bourgeoisie, Naguib Mahfouz a suivi des études de philosophie avant de suivre à partir de 1935 une carrière de haut fonctionnaire, occupant plusieurs postes dans les cabinets ministériels égyptiens d'abord comme Directeur de la Censure, puis comme responsable de la Fondation du Cinéma et, depuis 1971, comme Conseiller à la Culture.
Il commence a écrire et à publier dans les revues littéraires du Caire dès l'âge de 17 ans, tout en rédigeant une thèse de philosophie sur la beauté dans l'Islam. Ses trois premiers livres, Souffle de la folie (1938), Le Jeu du Destin (1939) et La Malédiction de Râ (1939), passent inaperçus. Le contexte de la seconde guerre mondiale l'incitera alors à s'intéresser à l'histoire de l'Egypte contemporaine et son oeuvre sera ensuite toute entière consacrée à analyser et écrire l'histoire récente de la société égyptienne. La plupart de ses récits ont pour cadre Le Caire du XXe siècle dont il a décrit en romancier mémorialiste les transformations et mutations sociales.
Après deux romans historiques, Radubis (1943) et La Lutte de Thèbes (1944), modèles métaphoriques pour l'indépendance de l'Egypte, il s'engage dans une veine réaliste et naturaliste en décrivant à travers une série de romans -- notamment Le Nouveau Caire (1945), Le Passage des miracles (1947) et Vienne la nuit (1949) -- l'univers des classes sociales au Caire au début du XXe siècle. En 1956-1957 il publie une Trilogie de 1.500 pages qui le rendra célèbre. Composée de L'Impasse des deux palais, Le Palais des désirs et Le Jardin du passé, cette grande fresque historique retrace l'évolution sur trois générations -- de la révolution de 1919 aux dernières années de la monarchie -- d'une famille bourgeoise cairote qui voit progressivement disparaître l'Egypte traditionnelle et se retrouve confrontée à des choix idéologiques terribles pour l'avenir de la nation. En 1959, il publie en feuilleton dans le quotidien Al-Ahram un roman fondé sur des récits bibliques et coraniques, Les fils de la Médina, dans lequel il condamne la politique de Nasser. L'oeuvre sera dénoncée par les Oulémas (autorités musulmanes) qui le jugent blasphématoire, et officieusement censurée en Égypte. L'écrivain, désormais célèbre, n'aura cependant aucun sérieux problème pour continuer à publier. Suivront à un rythme soutenu plusieurs romans et recueils de nouvelles qui, tout en révolutionnant la littérature arabe, sont tous écrits non en arabe dialectal mais dans une langue héritière de la langue classique. Souvent très critiques contre toutes les formes de pouvoir, la plupart de ces livres sont aussi imprégnés d'un certain pessimisme. Citons Le Voleur et les Chiens (1961), Le Monde de Dieu (1963), La Voie (1964), Le Mendiant (1965), Dérives sur le Nil (1965), Miramar (1966), Le Bistrot du Chat noir (1968), Histoire sans queue ni tête (1971), L'Amour sous la pluie (1973), Le Coeur de la nuit (1974), Récits de notre quartier (1975), L'Amour au pied des pyramides (1979), Les noces de Qobba (1981), Devant le trône (1983) ou encore Le Jour de l'assassinat du leader (1989). Son dernier livre publié, Le Septième Paradis (2005), est un recueil d'histoires sur la vie après la mort. Des Mémoires et entretiens sortiront en France chez Sindbad / Actes-Sud en janvier 2007. La plus grande partie de son oeuvre, qui compte au total 37 romans, 5 pièces de théâtre, 13 recueils de nouvelles et quelques essais, est aujourd'hui traduite en France et dans le monde entier. Plusieurs de ses grands romans historiques ont également été adaptés au cinéma.
Intellectuel humaniste devenu incontournable référence littéraire et conscience morale du monde arabo-musulman modéré à partir des années 1980, il a toujours prôné la tolérance et la modération. Ses prises de position politiques libérales, en particulier en faveur de la normalisation des relations des pays arabes avec Israël -- même s'il s'est toujours déclaré totalement solidaire des Palestiniens (auquels il a reversé une partie du chèque de son Prix Nobel) et a violemment attaqué les politiques menées ces dernières années par Ariel Sharon et George W. Bush au Proche-Orient -- lui ont valu de nombreuses critiques dans son pays. Son oeuvre a été un temps boycottée dans certains pays islamistes et il a été victime d'une tentative d'assassinat, perpétré en 1994 par un jeune fanatique fondamentaliste, qui l'a laissé paralysé de la main droite.
Premier et seul auteur arabe à ce jour à avoir reçu le Prix Nobel de Littérature (en 1988), Naguib Mahfouz restera comme l'écrivain du XXe siècle qui aura sans doute le plus enrichi et modernisé la littérature égyptienne et arabe.

La République des Lettres, mercredi 30 août 2006

 

Naguib Mahfouz
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