Günter Grass

Biographie Thomas De Quincey
Thomas De Quincey
De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts

Éditions de La République des Lettres
ISBN 978-2-8249-0195-4
Prix : 5 euros
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La polémique s'amplifie autour de l'écrivain allemand Günter Grass, Prix Nobel de littérature 1999, qui révèle avoir servi dans la Waffen-SS de l'armée nazie à la fin de la seconde guerre mondiale.

L'auteur du Tambour, aujourd'hui âgé de 78 ans, a lui-même fait éclater l'affaire à la veille de la sortie en librairie de ses Mémoires intitulé Beim Häuten der Zwiebel (En épluchant les oignons). Dans un entretien publié par la Frankfurter Allgemeine Zeitung le 12 août dernier, il a pour la première fois évoqué son enrôlement en 1945, à l'âge de 17 ans, dans la tristement renommée unité d'élite de l'armée nazie. Ce corps des Waffen SS a en effet par la suite été qualifié d'organisation criminelle par le Tribunal de Nuremberg en raison des atrocités qu'il a commis et de sa participation active à l'Holocauste. "Il fallait que ça sorte, enfin", a-t-il confié, ajoutant qu'un "sentiment de honte" a pesé ensuite sur toute sa vie et que la principale justification de son autobiographie est de rompre aujourd'hui le silence sur ce douloureux passé. Jusqu'à présent, il affirmait seulement avoir servi dans un simple régiment, la Flak (Fliegerabwehrkanone, défense anti-aérienne), en 1944, avant d'être blessé puis fait prisonnier par les Américains le 8 mai 1945 à Marienbad (République tchèque) et libéré le 24 avril 1946. Dans l'entretien à la FAZ il précise qu'il s'est en réalité porté volontaire dès l'âge de 15 ans (donc en 1942), pour servir dans la marine, car l'adolescent qu'il était souhaitait échapper au malaise qu'il ressentait dans sa vie familiale à Dantzig. Il n'a pas été engagé immédiatement, participant d'abord à un service de travaux d'appui militaire, l'Arbeitsdienst, avant d'être appelé fin 1944 par l'armée allemande pour rejoindre la 10e division blindée Frundberg des Waffen SS à Dresde. Il souligne qu'il s'y est retrouvé comme des milliers d'autres jeunes allemands, cette unité militaire d'élite n'ayant à l'époque rien d'effrayant pour lui tant l'endoctrinement et la propagande des Jeunesses hitlériennes était habile et efficace.

La révélation surprise de Günter Grass sur cette brève période de sa jeunesse a choqué la génération allemande d'après-guerre qui l'admirait tant pour ses prises de position politiques que pour la qualité littéraire de son oeuvre. Pour tous ses lecteurs, et plus généralement pour une large partie de la jeunesse allemande et européenne de mai 68, Günter Grass était devenu la "Conscience morale de l'Allemagne", le porte-parole littéraire et politique qui exprimait régulièrement avec force et justesse l'opinion d'une gauche intellectuelle européenne et éclairée.

Plus que le passé trouble où s'est trouvée impliquée la quasi totalité de sa génération -- aujourd'hui finalement reconnue comme victime de la dictature d'Adolf Hitler -- on reproche surtout à l'écrivain d'avoir voulu tenir son cas secret pendant plus de 60 ans. Plusieurs intellectuels, éditorialistes, historiens et hommes politiques, de tendance il faut le reconnaître plutôt de droite conservatrice, ne manquent pas d'en rajouter dans des jugements et critiques extrêmement sévères à son égard. Ils lui rappellent notamment ses anciens propos gauchistes qui fustigeaient les compromissions d'une certaine classe politique allemande avec le nazisme. Ses détracteurs lui jettent aussi à la figure sa célèbre suite romanesque intitulée Trilogie de Dantzig -- en particulier le premier volume, Le Tambour, publié en 1959 et dont la magistrale adaptation cinématographique par Volker Schlöndorff a reçu un Oscar en 1979 -- qui traite en partie de la période nazie, ou encore le plus récent En crabe (2002) qui relate le naufrage d'un navire transportant des réfugiés allemands à la fin de la guerre. Plusieurs personnalités réclament à grands cris qu'on lui retire le prix Nobel de littérature qu'il a reçu en 1999 pour l'ensemble de son oeuvre. Le directeur de la Fondation Nobel, Michael Sohlmana, a toutefois indiqué que, "les décisions étant irréversibles" et la Fondation suédoise n'ayant jamais retiré un prix Nobel au cours de ses 105 ans d'existence, elle ne retirerait pas celui de Günter Grass. Dans sa ville natale de Gdansk (ex Dantzig), en Pologne, où a commencé la seconde guerre mondiale, des députés du parti conservateur des frères Kaczynski ainsi que l'ancien président polonais Lech Walesa lui demandent également de rendre sa distinction de citoyen d'honneur de cette ville symbole. Partout, les associations de la communauté juive ne manquent pas non plus de crier haro sur l'intellectuel de gauche désormais ex-nazi qui, dans ses prises de position de militant pacifiste, a à plusieurs reprises critiqué la politique guerrière d'Israël. Les plus cyniques avancent que sa révélation publique tardive n'est qu'un bon moyen marketing de lancer la sortie de ses Mémoires en librairie.

La virulence et l'arrogance de certains commentaires a fait réagir l'écrivain qui, blessé, estime que certains se saisissent de son aveu pour faire de lui une "persona non grata". Les plus hypocrites à son encontre semblent en effet trop heureux de pouvoir maintenant le diaboliser avec son erreur de jeunesse afin de lui dénier le droit de donner au public ce qu'ils appellent ses "leçons de morale". "Ce que je vis en ce moment donne l'impression que l'on veut remettre a posteriori en question ce qui a fait les dernières années de ma vie. Et ces dernières années de ma vie ont été notamment marquées par cette honte", a-t-il expliqué lundi 14 août lors d'une émission littéraire sur une chaîne de télévison allemande. Il demande que les commentateurs qui le jugent aujourd'hui lisent d'abord avec attention son livre, qu'il a mis trois ans à rédiger, car la réponse se trouve dedans. Pour lui, il a fallu toutes ces années pour qu'il puisse véritablement faire son examen de conscience et trouver la forme littéraire autobiographique qui convenait pour exprimer son stupide comportement à l'âge de 16/17 ans; comportement qui précisément a ensuite dicté ses prises de position en tant qu'écrivain et en tant que citoyen, dit-il.

A l'opposé des critiques haineuses, plusieurs voix saluent au contraire la "victoire sur soi" de l'auteur du Turbot. Plusieurs personnalités comme entre autres le journaliste polonais Adam Michnik, le romancier britannique Salman Rushdie ou le cinéaste allemand Volker Schlöndorff, lui apportent leur soutien. L'écrivain Martin Walser, à l'origine lui-même il y a quelques années d'une polémique où il dénonçait l'instrumentalisation d'Auschwitz, estime même qu'il faut aujourd'hui être plutôt reconnaissant à Günter Grass de donner cette nouvelle leçon hautement morale dans l'actuel "climat triomphant de la pensée et de la parole normalisée".

La maison d'édition allemande Steidl qui publie Beim Häuten der Zwiebel vient d'annoncer qu'en raison d'une très forte demande en librairie, la sortie du livre programmée initialement pour le 1er septembre est avancée de deux semaines. L'ouvrage bénéficie d'un premier tirage de 150.000 exemplaires.

Copyright © Jean Bruno / republique-des-lettres.fr, Paris, mercredi 16 août 2006. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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