Tim Berners-Lee

Tim Berners-Lee

La conférence World Wide Web 2006 qui s'est tenue du 23 au 26 mai à Edimbourg (Écosse) a révélé au grand jour une notion, le Web sémantique, encore peu connue des internautes mais qui se répand à vitesse grand V sur l'Internet depuis quelques mois. Son grand évangéliste n'est autre que Tim Berners-Lee, inventeur du Web et fondateur du W3C (World Wide Web Consortium).

Comme de nombreux autres grands acteurs du WWW venus faire le point à cette conférence sur le réseau passé, actuel et à venir, Tim Berners-Lee se félicite du succès inouï de ce qui est devenu en moins de deux décennies le principal moyen de communication dans le monde. Il est plutôt optimiste pour l'avenir mais il s'inquiète cependant des tous derniers projets initiés par les opérateurs américains du secteur des télécoms et de la fourniture d'accès internet (FAI) qui prévoient de créer différents niveaux d'accès au réseau. Les débits de bande passante y seraient attribués et régulés selon que les services demandés seraient payants ou gratuits. Par exemple le consommateur qui paierait une surtaxe pour un film en VOD (Video On Demand) bénéficierait d'un maximum de débit en bande passante pour le télécharger. Rien de scandaleux jusqu'ici mais là où le bât blesse c'est que pour permettre cela les vitesses d'accès vers les sites webs amateurs gratuits seraient réduites.
Tim Berners-Lee, inventeur du web d'origine dans une dimension universelle, ne veut pas de ce réseau à deux vitesses selon que l'on soit marchand ou non. Il milite activement pour que le marché de la connectivité ne vienne pas créer de nouvelles hiérarchies dans l'accès aux contenus. Au-delà de l'aspect bassement capitaliste et ultra-libéral du projet on imagine en effet aisément aussi quel usage politique -- voire militaire -- pourrait être fait d'un tel système mis en place sur le réseau mondial dans la mesure où il serait dominé conjointement par un gouvernement impérialiste et les grandes multinationales de l'internet qui sont toutes américaines.

Mais l'essentiel de la conférence de Tim Berners-Lee porte sur un autre sujet, une petite révolution appelée "Web sémantique", concept qu'il a exposé dès 2001 avec James Hendler et Ora Lassila dans un désormais célèbre article fondateur, The Semantic Web (Revue Scientific American, May 2001). Le Web sémantique désigne ni plus ni moins ce que sera le web aux normes "intelligentes" de demain.

Avec le haut débit et la mise en ligne de milliards de fichiers qui ne se limitent plus à du contenu texte mais aussi maintenant à du contenu multimédia aux formats divers de type audio, vidéo, etc, il est devenu nécessaire de remplacer la plupart des anciennes normes qui peinent à structurer et à reconnaître les élements de cette immense masse composite. Les ressources, avec leurs balises ou étiquettes permettant de les identifier, de les repérer, de les analyser, de les éditer et de les relier entre eux, vont donc progressivement se dépouiller du langage HTML (HyperText Markup Language) qui a dominé jusqu'à présent.

Elles seront ré-habillés sous de nouveaux langages sémantiques et structurants de données, de requêtes, de règles et d'ontologie (dans le sens informatique du terme), le tout étant bien entendu directement interprétable sous un protocole commun par les machines communicantes. Il ne s'agit plus simplement de stocker les données sur le réseau pour les retrouver ensuite, lorsque c'est possible, par des mots-clés internes, mais de leur donner un sens afin qu'elles puissent communiquer directement avec les ordinateurs pour s'identifier et se faire comprendre.

Les premières couches de cette infrastructure d'information sémantique sont déjà opérationnelles et commencent à être largement utilisées cinq ans seulement après les premières applications concrètes découlant de la recherche fondamentale, alors que chercheurs et ingénieurs s'étaient calés au départ sur une vision d'une dizaine d'années. Certains éléments comme la structure RDF (Resource Description Framework) ou les langage XML et OWL sont d'ores et déjà des standards. Ils sont exploités couramment dans les Blogs et les Podcasts, par exemple pour les flux RSS, sans même que les webmestres qui utilisent des applications graphiques grand public pour les générer sachent ce dont il s'agit. D'autres comme le langage de requêtes SPARQL sont prêts à être officiellement implémentés.

Tout dépend maintenant du temps que mettront les créateurs de sites web et les développeurs de logiciels pour intégrer ces nouvelles technologies qui vont totalement restructurer le web et décentraliser le traitement des données, permettant notamment et entre autres, de façon concrète, de trouver les ressources et/ou services qu'on y cherche beaucoup plus rapidement et facilement qu'aujourd'hui.

Surtout -- c'est là le rôle de la sémantique dans ce domaine, et aussi de la logique et de la linguistique -- elles permettront d'obtenir des réponses beaucoup plus pertinentes et évoluées grâce à un dialogue automatisé et interactif qui s'établira directement entre les machines et les documents du méta-web, sans intervention humaine. Sous l'expression quelque peu limitée de Web sémantique initiée par Tim Berners-Lee, un nouveau dialogue structuré reliant les hommes, les connaissances et les machines s'engage aujourd'hui sur l'Internet.

Timothy J. Berners-Lee est né à Londres le 8 juin 1955. Il a suivi des études à l'Université d'Oxford de 1973 à 1976, bidouillant déjà un premier ordinateur. En 1980, travaillant pour le Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN) à Lausanne, il invente littéralement avec l'aide d'un autre chercheur, Robert Cailliau, le prototype du Web, c'est-à-dire un système de communication entre ordinateurs basé sur l'Hypertexte, ceci afin de favoriser les échanges d'informations et de connaissances entre scientifiques. Le projet sera mis au placard pendant quelques années alors qu'il travaille pour une autre entreprise. Mais il le reprendra par la suite et le testera en 1989 sur l'Internet pionnier du CERN, jusqu'à ce qu'il prenne véritablement son essor aux Etats-Unis en décembre 1991 sous le nom de World Wide Web.

Tim Berners-Lee développera alors les technologies réseau que nous utilisons aujourd'hui, notamment celles des adresses IP, du protocole HTTP et du langage HTML. Il décide de ne pas breveter ses découvertes afin que le monde entier puisse les utiliser librement. En 1993 il fonde le World Wide Web Consortium (W3C) au Massachusetts Institute of Technology (MIT) où il occupe une chaire. Le but de cet organisme est de tester et de recommander des langages standards compatibles et normalisés pour le web, toujours totalement libres de droits. Depuis décembre 2004 il occupe une chaire de Science Informatique à l'Université de Southampton (Grande-Bretagne) et se consacre au Web sémantique.

Tim Berners-Lee est lauréat du Prix Quadriga 2005 qui lui a été décerné en tant que l'un des deux plus importants scientifiques du XXe siècle avec Albert Einstein.

Copyright © Alain Joaquim / republique-des-lettres.fr, Paris, mercredi 31 mai 2006. Droits réservés pour tous pays. Toute reproduction totale ou partielle de cet article sur quelque support que ce soit est interdite.
Noël Blandin / La République des Lettres
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