République des Lettres

La GBV de Jacques Chirac

Jacques Chirac veut encourager la création d'une Grande Bibliothèque Virtuelle européenne sur internet

Rien de tel que d'agiter devant Jacques Chirac le drapeau de l'américanisation de la culture et des savoirs, dernier bastion sur lequel il pensait que la France pouvait encore se prévaloir d'une petite suprématie humaniste sur le reste du monde. Devant le développement actuel de grands projets d'entreprises américaines en la matière, le Président de la République vient en effet d'annoncer, à l'issue d'une rencontre avec Renaud Donnedieu de Vabres (ministre de la Culture) et Jean-Noël Jeanneney (président de la Bibliothèque Nationale de France), son intention de faire prochainement des propositions à ses partenaires de l'Union européenne pour accélérer la numérisation du fonds des grandes bibliothèques de France et d'Europe. Ses deux hommes de main de la culture ont pour mission officielle d'étudier les conditions dans lesquelles les oeuvres françaises et européennes pourront être numérisées afin d'être diffusées largement et rapidement sur internet. Il proposera ensuite aux pays membres de la Communauté Européenne de coordonner et d'amplifier ensemble leurs projets en ce domaine.
Malgré les dénégations de Renaud Donnedieu de Vabres, il semble bien que cette initiative française soit dû à la récente annonce de Google, leader américain des moteurs de recherche sur internet, de numériser et mettre en ligne quelque quinze millions d'ouvrages issus des grandes bibliothèques anglo-saxonnes. Jean-Noël Jeanneney, qui a déjà pour tâche à la BNF de gérer le très modeste et laborieux programme Gallica -- seulement 80.000 ouvrages en ligne, numérisés en majeure partie sous forme d'images, donc sans possibilité de recherche plein texte à l'intérieur du document --, n'avait en effet pas manquer en réponse de se faire le porte-parole du cocorico français. Rêvant tout haut d'une future Grande Bibliothèque Virtuelle et d'un Moteur de recherche strictement européens, il a publiquement exprimé ses craintes de voir les entreprises américaines s'attaquer seules à la gestion et la diffusion du patrimoine commun des savoirs par le biais des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il redoute en particulier que leurs pharaoniques programmes ne reflètent à terme qu'une vision purement américaine de la culture et appelait donc instamment les responsables politiques à une vigoureuse contre-attaque, ceci afin d'éviter aux générations futures la "domination écrasante de l'Amérique dans la définition de leur idée du monde".
Le Chef de l'Etat l'a bien entendu ainsi, estimant qu'il y a sans doute là un "enjeu fondamental pour la diversité culturelle" et que la France et l'Europe, "riches de leur exceptionnel patrimoine culturel", doivent y prendre d'urgence "une part déterminante". A l'issue de l'entrevue, le ministre de la Culture a assuré que l'initiative de Jacques Chirac n'était en rien une opération anti-Google mais simplement une volonté de la France de faire rayonner elle aussi "ses talents, son patrimoine, son histoire et sa propre culture". Cela semble cependant mal engagé lorsque l'on entend les propos des conseillers du Président de la République -- par ailleurs grand ami de Bill Gates, grand équimentier américain des administrations françaises, reçu plusieurs fois avec tous les honneurs à l'Elysée -- n'excluant pas de s'associer avec Microsoft pour mener à bien ce programme de numérisation contre la domination américaine. LOL (à se rouler par terre de rire), comme on dit sur l'internet.
L'Etat français consacre aujourd'hui 15 millions d'euros par an pour la numérisation des fonds archivés en bibliothèques, y compris les films et les journaux. Chiffre à mettre en perspective avec le budget du seul projet de numérisation de Google, simple entreprise privée, évalué lui à 150 millions de dollars.

La République des Lettres, jeudi 17 mars 2005

 

Jacques Chirac
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